Assinie-Mafia : Le désarroi des opérateurs du tourisme face aux effets de l’érosion côtière (Reportage)
Lemandatexpress – Située en bordure de la mer à quelques kilomètres d’Abidjan, Assinie-Mafia est une localité qui rime avec plage de rêve, sortie-détente, repos…bref le tourisme. A l’image des villes balnéaires, aujourd’hui, la menace de l’érosion côtière est en passe de changer la donne. Les opérateurs du secteur touristique sont à s’interroger sur leur avenir. Reportage.
Une âcre de poussière à forte coloration de latérite se soulève devant un alignement de maisons. Il est un peu plus de 6 h ce samedi 6 avril 2024. Au quartier sud d’Assinie-Mafia (Sud-est d’Abidjan), des femmes balaient devant les cours et les rues. Dans une ambiance conviviale et joyeuse ; elles causent, se taquinent … Une atmosphère calme règne sur la ville. Très peu de personnes circulent dans les rues. Les chants des coqs et le passage de rares taxis constituent l’essentiel de l’animation dans la localité.
Après des échanges au téléphone, notre équipe de reportage fait la rencontre de Maxwell Kouadio, président des jeunes d’Assinie-Mafia, par ailleurs agent de la mairie. Les civilités se font au dans l’enceinte d’une buvette « Le campement » devant le siège de la radio.
« Nous sommes là pour un reportage sur l’érosion côtière, à Assinie-Mafia. Nous voulons voir le comportement de la mer et son impact sur le tourisme » lui expliquai-je. Maxwell Kouadio annonce la couleur : « L’eau nous fatigue beaucoup. Elle avance chaque année et nous sommes impuissants. Nos efforts et appels sont restés sans effets jusque-là. Je vous invite à aller voir l’embouchure ».
Cap sur l’embouchure
Le président des jeunes instruit aussitôt l’un de ses collaborateurs présents de nous y conduire. Cap sur l’embouchure ! A bord de la pinasse, nous ne sommes pas les seuls passagers. Un couple de touristes européens, vraisemblablement habitués des lieux, se rend à la plage. L’enthousiasme et la gaieté se lisent sur leurs visages. L’homme et la femme portent des lunettes solaires ; des chapeaux flopés sur la tête ; des serviettes nouées à la hanche. Bref, ils sont flanqués dans leurs tenues de plage. Deux autres couples de jeunes venus d’Abidjan sont également de l’expédition.
Au son rythmé et cadencé du moteur, la pinasse effectue sa navigation. Au fil de l’avancée, les voyageurs apprécient l’étendue de la lagune, sa belle couleur turquoise. Elle dégage une odeur forte. Des bouteilles de plastiques vides flottent par endroits sur l’eau. L’on aperçoit aussi des débris d’ordures de diverses natures. Les flancs de la berge sont parsemés de côtiers. Dans le sens contraire, un engin revenant de l’embouchure pointe le nez. A son bord, un couple tout aussi relaxe et décontracté, échange ; l’air ravi. Les deux pinasses avancent jusqu’à se dépasser. Au passage, les pinassiers se saluent. Au bout d’une vingtaine de minutes de parcours, la pinasse ralentit puis stagne. Les passagers descendent les uns après les autres. Ici c’est l’embouchure.
Une étendue de cocotiers parsemée de broussailles se dresse sur des dizaines de mètres. Il y a des constructions vétustes abandonnées, par endroits. Un peu plus loin, l’on observe une succession de restaurants-bars. Certains sont d’un standing élevés, notamment, « Ocra beach », « Caïa Beach » ; « Tapon » ; « Atti Bilé Village » ; « Les Délices de l’embouchure », sont bâtis sur du sable fin. De parts et d’autres, s’étendent l’océan atlantique et la lagune Abby.
La mer se distingue avec les vagues incessantes, accompagnées de bruits en fond sonore. A l’opposé, le calme olympien de la lagune. Il est 10h. Le soleil brille déjà haut dans le ciel comme si c’était à la mi-journée. Des dizaines de visiteurs sont à l’embouchure. Aux yeux des habitués, c’est loin d’être l’ambiance habituelle des week-ends. La raison ? « Le carême musulman n’est pas un temps favorable de sortie », indique un technicien de surface des Délices de l’Embouchure.
La musique tonne, ici. Seulement quatre clients ont pris place. Une quinzaine de tables sont dressées. Dans les environs, les vendeuses de cacahouètes et de noix de coco parcourent les tables dressées pour proposer leurs produits aux clients installés dans les restaurants. Ce décor tranche avec la situation qui régnait quelques mois plutôt. « Il y a trois (3) mois c’était un restaurant pieds dans l’eau. Nous avions une clientèle plus importante. Aujourd’hui, la mer a ravagé une bonne des installations. Les tables et chaises rangées là sont le témoignage de la destruction d’une partie du complexe par la montée de la mer », nous explique Koffi Assoumou, le gestionnaire des Délices de l’Embouchure.
Il soutient que l’avancée de la mer est un mouvement incompressible. « Nous faisons le constat que la mer avance chaque année. Elle grignote chaque fois des kilomètres et d’année en année, on remarque que l’espace se rabougris ». Même constat pour Pascal Gnamien, un technicien de surface à Copain Marin. « Le niveau de l’eau nous a bousculé au point où nous avons été contraint de réduire nos installations ». Membre de la notabilité d’Assinie-Mafia Ernest Kouassi ne cache pas son inquiétude : « La situation de l’érosion côtière est inquiétante. Pendant les mois de mai, juin et juillet, lorsqu’il y a de fortes pluies, l’eau de la mer se déverse dans la lagune, dans les villages d’Assouindé, et de Madjan. Nous pensons que chaque année, la mer avance de cinq à 10 mètres », dira-t-il.
Et poursuivre : « Avant 1942, l’embouchure n’était pas à cet emplacement. Elle était du côté d’Assouandé. Il y a eu cinq mouvements de la mer et en 1942, la mer a créé son passage ici, divisant Assinie-France et Assinie-Mafia. Les deux quartiers étaient distants de deux kilomètres. Qu’on en soit là aujourd’hui, vous pouvez imaginer l’évolution de la situation. Moi-même j’ai réalisé des paillotes au niveau de l’embouchure, mais tout est parti dans l’eau ».
« La situation de l’érosion côtière est inquiétante »
D’autres tenanciers de restaurants ont plutôt un regard différent. Ils estiment que de façon cyclique la mer bouge, avance et recule sans empiéter sur l’espace. « Personnellement je ne suis pas inquiet. La mer bouge tout le temps. En 2006, L’eau arrivait jusque-là où je suis en train de construire. Aujourd’hui, la mer a reculé », affirme Fosi Sergio, un opérateur italien. Aka Malan gérant de Jestski, engin de plaisance et de balade sur la lagune, fait remarquer que depuis une décennie, la mer « balance ». Logon Blaise, également gérant de Jetski, refuse de croire que la mer avance, même s’il reconnait l’influence de la mer sur leur activité. L’érosion côtière ou le mouvement de la mer, n’est pas sans conséquences sur l’activité économique et touristiques à Assinie Mafia. « Cette situation nous impacte énormément. C’est pour cette raison que la plupart des complexes de restaurant sont construits de façon temporaire. On se dit qu’à tout moment, la mer va venir ravager les choses », explique Ousaman Koanda, le propriétaire des Délices de l’embouchure. Il relève par ailleurs que « Les maison coloniales sont toutes parties ». Ousamane Koanda raconte qu’une délégation de touristes chinois arrivés à Assinie-Mafia, est repartie déçue estimant que ce qu’ils ont vu sur le terrain n’a rien à avoir avec qu’ils ont lu sur internet par rapport aux potentialités touristiques d’Assinie-Mafia.
Autre situation évoquée, la baisse des recettes due à sa fermeture des restaurants durant plusieurs semaines : « Lorsque nous sommes en haute saison, nous pouvons réaliser une recette de deux millions de par semaine voire plus. Nous avons été contraints de fermer pendant des semaines, alors que j’emploie entre 14 et 17 personnes. Aujourd’hui, nous n’arrivons plus à faire 200.000 francs » avance-t-il. Okra Beach n’est pas épargné par les effets de l’érosion côtière : « Nous avons fermé en novembre, parce que l’eau était montée au point où nos installations ont été détruites. Pendant des semaines, le personnel est resté sans activité. Conséquence, après la réouverture, les chiffres d’affaires ont baissé de façon drastique. Habituellement, quand ça marche bien, nos recettes tournent autour de 600.000 francs la journée. Aujourd’hui, on a du mal à faire 200.000 francs », explique Joël Kouamé gestionnaire du restaurant.
À présent, il est un peu plus de 12h 30 min. Le soleil est au zénith. Le ciel affiche bleu-ciel et rayonnant. Le nombre de personnes présentes sur l’embouchure a augmenté. L’ambiance est montée d’un cran. Les restaurants distillent distinctement la musique, dans une sorte de mélancolie avec des rythmiques cadencées. Les sonorités de coupé décalé, zouglou, et la musique tradi-moderne résonnent à la grande joie du public. L’on assiste à des scènes de course-poursuite dans le sable fin entre des enfants dans une atmosphère d’égaiement. Des groupes d’amis s’adonnent à des jeux. Une partie de football oppose deux équipes mixtes de femmes et de garçons. Juste à côté, deux équipes livrent un match de volleyball. Des visiteurs profitent des vagues de la mer. Positionnés en bordure, ils attendent les chutes pour se baigner. Un peu plus loin, il y a d’autres scènes de jeux sur la lagune. Des visiteurs font des vas-et-viens à bord de jetski. Des femmes remorquées derrière des jeunes effectuent plusieurs tours avant d’accoster et revenir sur la terre ferme. C’est l’heure du déjeuner pour certaines personnes. Arnaud Kouakou et ses collègues dégustent un poisson braisé, sous une paillote de fortune. Ils causent, rient, se taquinent dans une ambiance de « coupé décalée ».
Évacuer le stress
Quelques pas de danse qui confirment bien le show ! « Nous sommes ici pour évacuer le stress. Après une semaine difficile nous venons pour profiter de la nature. Et tout se passe bien » nous confie Arnaud Kouakou, arborant un large sourire. « J’invite les abidjanais à venir découvrir cet endroit paradisiaque », ajoute son voisin tout aussi enthousiaste. Sous une paillote à proximité, est installé un couple avec trois enfants. Pendant que le mari et la femme échangent entre-lassés, les enfants jouent dans le sable. Autour d’une table sur lequel sont positionnées deux bouteilles de vins, des amis dégustent de la soupe de poisson. Il est 17 h. Le soleil s’est incliné. Le temps est doux. Le vent souffle plus fort. Les bruits et les mouvements de la mer sont plus persistants. Les vagues tonnent comme des coups de canon. Des secouristes drapés dans leurs apparats démarchent certaines personnes pour demander de s’éloigner de la mer. « La marée est haute. C’est dangereux de se baigner aux abords de la mer », explique l’un d’entre eux à des jeunes jouant au football. Des touristes profitent de la marée haute en s’adonnant à un shooting (prise de photos). L’eau de la mer se jette dans la lagune. Qui dans un mouvement répulsif, rejette l’eau de la mer. Un mouvement de tango qui fait croire que la mer et la lagune se livrent une bataille.17h30, l’équipe de reportage emprunte la voie menant au rivage pour la traversée de la lagune. La fête est loin d’être terminée pour certains. Les parties de jeux, l’égaiement et les causeries se poursuivent. Comme nous, des visiteurs ont fait leurs bagages et sont sur le chemin du retour. En compagnie de guide, nous prenons place à bord de la pinasse en même temps que d’autres personnes. Cette fois-ci, des villageois venant du champ sont du voyage. Après une quinzaine de minutes, nous voici de retour en ville. Les restaurants et maquis aux abords sont bondés de monde. Il règne une ambiance festive. Au son des morceaux musicaux du terroir et du Hi-life, une musique du Ghana voisin, l’on déguste du poulet braisé ; de la soupe de poisson de poisson… En l’absence de Maxwell Kouadio en déplacement dans un village, nous exprimons nos remerciements au guide Adama Kouakou, puis mettons le cap sur Abidjan.
Reportage réalisé par César Ebrokié,
(Envoyé spécial à Assinie-Mafia)