Reportage – Casse d’Abobo Anador : Après les affrontements, les ferrailleurs dénoncent une injustice ; la mairie déterminée à en finir demain
Lemandatexpress– La journée tumultueuse de ce mardi 13 août 2024 à la casse d’Abobo-Anador a suscité une vague d’indignation parmi les professionnels du secteur. Passé le chaos, les ferrailleurs dénoncent une mesure de déguerpissement brutale, tandis que la mairie projette de finaliser l’opération demain, de gré ou de force.
Aux alentours de 14h ce mardi, les scènes d’affrontements mêlant agents de la police municipale, ferrailleurs, et autres badauds sur le site de la casse d’Abobo s’étaient déjà dissipées à notre arrivée sur les lieux. Mais l’atmosphère pesante et les traces de pneus brûlés sur le macadam témoignaient de l’ampleur des événements.
Tout est à l’arrêt en cette journée chômée dans ce périmètre habituellement animé. Un détachement de la gendarmerie, sous le commandement du Lieutenant F.B., reste positionné au rond-point du secteur pour parer à toute éventualité. Réunis en petits groupes devant les magasins, certains hermétiquement fermés, d’autres en plein déménagement, les opérateurs de la casse, très remontés, refont le film de la matinée. Encore sous le choc, ils dénoncent la méthode de la police municipale, qui a exécuté ce jour l’ordonnance de déguerpissement de la casse d’Abobo Anador. « C’est révoltant ce que la mairie a fait. Nous étions tous assis tranquillement. Ils sont arrivés et ont commencé à forcer les portes des magasins », peste I.K., qui dit travailler dans la ferraille depuis la fin des années 1990.
« C’est alors, poursuit-il, que tout a dégénéré. En réaction à la destruction sans ménagement des magasins, les propriétaires ont lancé des pierres pour tenter de repousser les agents municipaux. » Selon cet homme d’une quarantaine d’années, il a fallu l’intervention de la gendarmerie pour circonscrire ces manifestations, que les jeunes badauds ont, comme souvent, exploitées pour détrousser les honnêtes citoyens pris dans le feu de l’action.
Aucune raison valable
« Ils ont arraché les portables des passants, brûlé des pneus. Ils profitent des manifestations pour agresser », raconte I.K. Ce n’est pas la première tentative de déguerpissement en ces lieux. Sommés de se redéployer à N’dotré, les opérateurs de la casse d’Abobo Anador opposent, jusqu’ici, une fin de non-recevoir. Ils avancent comme prétexte que la casse ultra-moderne promise par la maire Kandia Camara n’a toujours pas vu le jour.
Pour I.K., aucune raison valable ne justifie la mesure de déguerpissement de ce jour, qui, dit-il, met en péril le gagne-pain de nombreux jeunes. Il s’en prend également aux riverains, qu’il accuse de tirer les ficelles en raison du désordre ambiant et des agissements troublant leur quiétude.
Mesure d’accompagnement adéquate
« Les riverains sont venus nous trouver ici à la casse. Au moment où nous nous installions avant la fin des années 2000, ils n’étaient pas là. C’est nous qui avons mis ce site en valeur. Ce n’est qu’une fois que la ferraille a réhabilité l’espace qu’ils ont construit leurs maisons. Ce n’est pas non plus un domaine public. Ce sont des particuliers qui ont acheté des terrains et construit leurs immeubles. Plusieurs de ces constructions nous servent de magasins en location », explique-t-il, ajoutant qu’il paie régulièrement son loyer et ses impôts.
S.Y., relativement plus jeune, tient également un magasin à la casse d’Abobo-Anador. Son problème n’est pas tant la décision de faire partir les ferrailleurs des lieux, mais plutôt l’absence, selon lui, d’une mesure d’accompagnement adéquate proposée par la mairie.
« Le site de N’dotré a été attribué aux ferrailleurs. Soit. Mais est-ce que cela règle le problème ? Car autant Anador est habité, autant N’dotré l’est aussi. Il est évident que dans cinq ou six ans, nous serons dans la même situation qu’aujourd’hui avec les riverains de N’dotré », prévient le jeune ferrailleur.
Définitivement déguerpis
À l’en croire, la résistance des membres de la profession tient d’une logique évidente. « On ne cherche pas à faire un bras de fer avec qui que ce soit. Nous n’avons pas les moyens, de toute façon. La seule chose que nous demandons au gouvernement, c’est de nous donner un site bien organisé et approprié avant que nous ne déménagions. » I.K. renchérit : « Nous n’avons pas eu d’affrontement avec les forces de l’ordre. Les gendarmes sont plutôt venus rétablir l’ordre, vu que des barricades avaient été érigées sur la voie express (Abobo-Adjamé). Ils ont constaté que c’est la mairie qui est venue nous agresser. Les agents de la police municipale sont venus avec des gourdins et des marteaux pour casser les magasins », accuse-t-il.
Ce n’était pourtant pas une surprise. Autant les ferrailleurs que les forces de l’ordre admettent ici que la mairie a engagé des discussions avec les parties prenantes depuis une semaine, leur demandant de libérer les lieux. Aussi, même si I.K. soutient que ses collègues ferrailleurs et lui n’iront pas à N’dotré, d’autres ont anticipé en vidant leur magasin. À l’image de B.O., qui, aidé de ses employés, s’activait sous nos yeux à charger des pièces automobiles dans la camionnette affrétée pour l’occasion.
Selon les témoignages recueillis sur le terrain, la mairie est décidée, cette fois-ci, à mener son action à terme. Les ferrailleurs de la casse d’Abobo-Anador seront définitivement déguerpis demain, mercredi 14 août, a-t-on appris sur place. Pas sûr qu’ils l’entendent de cette oreille.
Martial Galé