Francine Kouablan, psychopédagogue et directrice du MRAX: “Le 08 mars, un moment crucial pour exiger l’égalité entre les femmes et les hommes”
Francine Esther Kouablan, psychopédagogue engagée dans la lutte contre le racisme et pour la cohésion sociale en Belgique. Par ailleurs, directrice du Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie (MRAX), femme leader, nous parle dans cet entretien de son engagement sur les questions des droits des femmes qui mettent en lien les intersections entre le racisme, la xénophobie et le sexisme afin d’œuvrer pour un monde plus juste et plus égalitaire.
Quel rôle, vous jouez dans ce mouvement ?
Je représente la structure que je dirige, Le MRAX, dans la plus grande organisation féministe, la Marche Mondiale des Femmes. J’ai eu d’ailleurs l’honneur de conduire la délégation Belge en octobre dernier à la Conférence internationale de cette organisation à Ankara. En un mot, je suis engagée dans la promotion de l’égalité et de la justice sociale avec pour objectif la construction d’une société plus inclusive et respectueuse de la diversité en développant des stratégies éducatives innovantes et appeler à des politiques et des mesures concrètes pour promouvoir l’égalité entre les genres, en vue de construire la cohésion sociale, la paix, et un monde inclusif.
Mon rôle au sein de cette organisation me permet de concevoir et de mettre en œuvre des programmes éducatifs visant à sensibiliser les communautés sur les questions de racisme, à promouvoir la diversité et l’inclusion, et à lutter contre les préjugés et les discriminations, à sensibiliser sur le vivre-ensemble et mettre en place les outils pour la construction de la cohésion sociale au sein de la société belge et hors de la Belgique avec les partenaires qui nous solicitent. Je travaille également sur les questions des droits des femmes qui mettent en lien les intersections entre le racisme, la xénophobie et le sexisme afin d’œuvrer pour un monde plus juste et plus égalitaire.
Quelle est votre perception de la Journée Internationale de la Femme ?
La Journée Internationale de la Femme, célébrée chaque année le 8 mars, est une occasion importante pour mettre en lumière les réalisations des femmes, leur lutte pour l’égalité des sexes et les défis persistants auxquels elles font face dans le monde entier. Cette journée est l’occasion de rendre hommage aux femmes qui ont contribué de manière significative à l’avancement de la société dans divers domaines, qu’il s’agisse de la politique, de la science, de l’économie, de la culture ou des droits de l’homme.C’est également une journée pour sensibiliser aux inégalités persistantes entre les sexes et pour encourager l’action en vue de promouvoir l’égalité des chances et des droits pour toutes les femmes, indépendamment de leur origine, de leur statut social ou de leur orientation. Cela comprend la lutte contre la discrimination, la violence basée sur le genre, les disparités salariales, l’accès inégal aux opportunités économiques et éducatives.
En Côte d’Ivoire, les femmes sont les piliers de la société, comme l’a souligné le président de la République, Alassane Ouattara. Elles jouent un rôle essentiel dans l’économie, l’éducation, la politique et la vie communautaire. Pourtant, malgré leur contribution inestimable, les femmes ivoiriennes sont confrontées à de nombreuses inégalités et discriminations.
La Journée Internationale de la Femme est donc à la fois une occasion de célébration des succès des femmes et un rappel de l’importance de poursuivre les efforts pour parvenir à une véritable égalité des sexes. C’est un moment pour réfléchir aux progrès réalisés et aux défis à venir, et pour s’engager collectivement à créer un monde plus juste et équitable pour tous. Contrairement à ce que nous voyons sur le terrain dans notre pays, et dans de nombreux pays africains, le 08 mars, journée Internationale des droits des femmes, est loin d’être une journée commerciale faite de pagnes et de cadeaux en tout genre qu’on donne aux femmes parce qu’on a substitué abusivement « droit des femmes » à « fête des femmes ».
C’est ainsi qu’on observe, que dans l’inconscient populaire, hélas, cette journée est détournée de ses véritables objectifs pour en faire une foire où on voit la femme se pavane dans des cérémonies de remise de cadeaux, avec beaucoup de paternalisme. Le 08 mars c’est un moment crucial de mobilisation pour exiger un engagement ferme envers la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est un moment clé pour appeler à faire barrage aux propos, comportements et actes machistes qui persistent dans notre société patriarcale et qui alimentent les injustices subies par les femmes. Il ne s’agit pas ici du fait que la femme doit porter le pantalon autant que l’homme, mais plutôt de faire en sorte que les pouvoirs publics et institutionnels mettent en place des politiques plus inclusives pour favoriser une prise de conscience individuelle et collective, et pour construire une société plus égalitaire et juste.
Ce ne sont donc pas les complets de pagne offerts à tort et à travers dans des moments de réjouissance qui aideront à bâtir une société plus juste et plus égalitaire. On a parfois dans notre société, une vision très sclérosée de ce qu’est une justice égalitaire entre les hommes et les femmes. Les premiers pensent que la femme veut une place de « cheffe », « veut faire comme l’homme », pendant que les secondes pensent qu’il faut troquer la jupe ou la robe contre le pantalon. Alors que le type de vêtement n’a aucune influence sur l’avancement de la justice.
Pensez-vous que les femmes ont réalisé des progrès ces dernières décennies en matière d’égalité des sexes, en Côte d’Ivoire ?
Les décennies récentes ont été témoins de certaines avancées dans la quête de l’égalité des sexes en Côte d’Ivoire, bien que ce processus demeure nuancé et en constante évolution. Des initiatives significatives ont été entreprises, notamment dans les sphères éducatives, politiques et socio-économiques, visant à réduire les disparités entre hommes et femmes.Parmi les réalisations notables, on peut citer l’accroissement de l’accès des filles et des femmes à l’éducation, ainsi que leur participation croissante dans les domaines politiques et économiques. Des politiques et des législations ont été promulguées pour promouvoir l’égalité des sexes et protéger les droits des femmes, témoignant ainsi d’une prise de conscience institutionnelle de ces enjeux cruciaux.
Néanmoins, malgré ces progrès, des défis persistants entravent toujours la pleine réalisation de l’égalité des sexes en Côte d’Ivoire. Des inégalités subsistent dans l’accès aux opportunités économiques et dans la représentation politique, tandis que les femmes demeurent confrontées à des obstacles dans l’accès aux soins de santé et à une protection adéquate contre la violence fondée sur le genre. Par ailleurs, les normes sociales et les préjugés de genre continuent de perpétuer des schémas discriminatoires au sein de la société.
Ainsi, bien que des progrès aient été réalisés, il est impératif de poursuivre les efforts visant à instaurer une véritable égalité des sexes en Côte d’Ivoire. Cela requiert un engagement soutenu de la part des institutions gouvernementales, de la société civile et de la population dans son ensemble pour remédier aux iniquités persistantes, modifier les attitudes discriminatoires et promouvoir une culture d’égalité et de respect mutuel entre les genres.
Quels sont les défisqui subsistent ?
Il reste évident que malgré les progrès réalisés et cités précédemment, plusieurs défis persistent en matière des droits pour les femmes ivoiriennes et mériteraient un traitement et un engagement politique et intentionnel plus ardu. Il s’agit de plusieurs domaines dont je ne citerai que quelques-uns ici :
Au niveau des violences basées sur le genre : Les femmes en Côte d’Ivoire continuent de faire face à des violences physiques, sexuelles et psychologiques, y compris les violences domestiques, les mariages forcés, les mutilations génitales féminines (MGF) et le harcèlement sexuel. Ces violences basées sur le genre ont cours tant dans la vie privée, professionnelle et dans divers secteurs de la société comme l’enseignement.
Ces violences restent souvent impunies et constituent une menace pour la sécurité et le bien-être des femmes. Malheureusement, beaucoup de victimes de ces violences refusent encore de dénoncer les auteurs car malgré les dénonciations, les auteurs ne sont pas tous poursuivis.
Au niveau des inégalités économiques : Les femmes ivoiriennes sont confrontées à des inégalités économiques persistantes, y compris des écarts de rémunération entre les sexes, un accès limité aux opportunités d’emploi et d’entrepreneuriat, ainsi qu’une participation réduite au secteur formel de l’économie. Elles sont fort impliquées dans le secteur économique informelle, mais cette implication est peu ou prou reconnue. Ces inégalités économiques entravent l’autonomie financière des femmes et limitent leurs possibilités de développement professionnel et économique.
Au niveau de l’éducation et de la santé : elles ont un accès limité. En effet, malgré les progrès réalisés, force est de constater que l’accès des femmes à l’éducation et aux soins de santé reste inégal en Côte d’Ivoire, en particulier dans les zones rurales et défavorisées. Les barrières socio-culturelles, les mariages précoces et les grossesses précoces continuent de limiter l’accès des filles à l’éducation, tandis que les services de santé maternelle et reproductive demeurent souvent inaccessibles ou de qualité insuffisante pour de nombreuses femmes.
Au niveau politique : Les femmes ivoiriennes sont encore sous-représentées dans les instances politiques et décisionnelles, tant au niveau national que local. Malgré l’existence de quotas de genre et d’autres mesures visant à promouvoir la participation des femmes en politique, les obstacles persistants tels que le manque de financement, les préjugés de genre et les normes socioculturelles limitent leur accès aux postes de leadership et de prise de décision.
Et pour m’arrêter ici sur cette liste non exhaustive, les femmes en Côte d’Ivoire font toujours face à la stigmatisation et à la discrimination fondées sur leur genre, en particulier celles issues de groupes marginalisés tels que les femmes rurales, les femmes handicapées et les femmes appartenant à des zones géographiques inaccessibles.
Face à ces réalités, il est impératif de redoubler d’efforts pour promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes en Côte d’Ivoire. Ces formes de discrimination entravent leur accès aux droits fondamentaux, y compris à l’éducation, à l’emploi et à la participation politique. Est-il nécessaire ici de rappeler encore que nous sommes dans une société patriarcale ?
Que proposez-vous ou quels changements aimeriez-vous voir pour favoriser une plus grande égalité des sexes et un meilleur traitement des femmes?
Pour progresser sur l’accès aux droits des femmes ivoiriennes dans les différents secteurs de la vie, plusieurs solutions peuvent être envisagées ou renforcées pour celles existantes déjà
:Voter une loi sur le féminicide : en effet, l’introduction d’une loi spécifique sur le féminicide est essentielle pour reconnaître et punir les crimes commis spécifiquement à l’encontre des femmes en raison de leur genre. Cette loi permettrait de reconnaître le féminicide comme une infraction distincte dans le code pénal, avec des peines appropriées pour les auteurs.
En outre, une telle loi enverrait un message clair selon lequel la violence contre les femmes est inacceptable et sera sévèrement réprimée par la loi. Cette mesure dissuaderait les agresseurs potentiels et renforcerait le sentiment de sécurité des femmes dans la société. Elle viendrait appuyer les dispositifs existants. Loi sur l’accès à l’IVG :
L’adoption d’une loi sur l’accès à l’IVG est cruciale pour garantir aux femmes le droit de disposer de leur propre corps et de faire des choix autonomes en matière de santé reproductive. En autorisant l’IVG dans des conditions sûres et légales, cette loi permettrait de réduire les risques pour la santé des femmes liés aux avortements clandestins et non médicalisés. De plus, elle contribuerait à promouvoir l’égalité des sexes en reconnaissant le droit des femmes à prendre des décisions concernant leur propre santé et leur propre vie. En prenant juste les femmes victimes de viol, le rapport 2022 du Ministère de la Femme indique 6040 cas de VBG (Violence Basée sur le Genre), il ressort 954 viols.
Cette loi permettrait aux femmes victimes de viol d’avoir le droit d’interrompre leur grossesse. Enfin, elle favoriserait l’autonomie des femmes en leur permettant de planifier leur famille et de poursuivre leurs objectifs éducatifs et professionnels sans être entravées par une grossesse non désirée.Renforcer l’éducation des filles :
Investir dans l’éducation des filles en fournissant un accès équitable à l’éducation primaire et secondaire, en mettant l’accent sur les zones rurales et défavorisées. Promouvoir des programmes visant à éliminer les obstacles tels que les mariages précoces, les grossesses précoces et les stéréotypes de genre dans l’éducation.
Améliorer l’accès aux soins de santé :
Renforcer les services de santé maternelle et reproductive, en garantissant un accès équitable aux soins prénatals, à l’accouchement sécurisé et aux services de planification familiale. Sensibiliser les femmes aux questions de santé et promouvoir l’autonomie en matière de santé.
Accroître la participation politique des femmes :
Mettre en œuvre des mesures plus incitatives, telles que déjà décidé pour les quotas de genre, pour garantir une représentation équitable des femmes dans les organes gouvernementaux, les assemblées législatives et les institutions locales. Encourager la formation et le leadership des femmes dans la vie politique.
Promouvoir l’emploi des femmes
: Développer des programmes de formation professionnelle et d’entrepreneuriat spécifiquement conçus pour les femmes, en mettant l’accent sur les secteurs à forte croissance tels que les technologies de l’information et de la communication (TIC), l’agriculture et le commerce. Faciliter l’accès des femmes au financement et aux ressources nécessaires pour démarrer ou développer leurs propres entreprises.
Lutter contre les violences faites aux femmes :
Renforcer les lois et les mécanismes de protection des droits des femmes, en particulier en ce qui concerne les violences domestiques, les mariages forcés, les mutilations génitales féminines (MGF) et le harcèlement sexuel. Mettre en place des services d’assistance et de soutien pour les victimes, ainsi que des campagnes de sensibilisation pour changer les attitudes et les comportements sociaux.
L’accès à la propriété foncière :
L’introduction d’une réforme législative s’avère nécessaire pour modifier les lois et les politiques foncières en vue de garantir l’égalité des droits entre hommes et femmes en matière de propriété foncière.
Pour y arriver, Il est aussi important d’éliminer les obstacles juridiques et coutumiers qui entravent l’accès des femmes à la propriété foncière, notamment en matière d’héritage.En mettant en œuvre ces solutions de manière coordonnée et durable, je pense qu’il est possible de progresser significativement sur l’accès aux droits des femmes ivoiriennes dans tous les aspects de leur vie, contribuant ainsi à la construction d’une société plus juste, égalitaire et prospère pour tous ses membres.
Votre mot de fin
Mon mot de fin serait de désaliéner nos mentalités, en commençant par celles des femmes afin qu’elles s’autodéterminent, quant à leurs droits, de vivre dans une société juste et équitable. Haut du formulaire
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