Trois questions à…/Traoré Djakaridja (Fédéral des syndicats de transporteurs et chauffeurs de camions-bennes) : « Les pressions indépendantes des chauffeurs constituent, au quotidien, des risques élevés d’accidents »
A Abidjan, la Fédération des syndicats des transporteurs et chauffeurs de bennes (FSTCB-CI) revendique 5000 acteurs de camions pour le transport du sable et du gravier. Ces engins sont cités dans des accidents graves. Traoré Djakaridja, fédéral, donne sa part de vérité dans cet entretien.
On accuse, à tort ou à raison, les chauffeurs de camions-bennes d’être à l’origine de nombreux accidents de la route. Quel commentaire cela suscite de votre part ?
Tout le monde, tout chauffeur est exposé à des accidents ou peut en être à l’origine. Ici en Côte d’Ivoire, les chauffeurs de camions-bennes ne sont donc pas les seuls à en commettre. Sauf que pour ces derniers, aujourd’hui, les conditions de travail font que c’est difficile. Les taxes de l’Etat sont trop. Les transporteurs sont donc obligés d’imposer des recettes aux chauffeurs. Et ces recettes de 70.000F à 80.000F/jour et par camion, si les chauffeurs devraient faire deux tours afin d’avoir cette recette, ils font maintenant trois. En réalité, aujourd’hui, aucune benne ne peut faire trois voyages. Les chauffeurs sont obligés, à 80%, de travailler de nuit. En voulant souvent rattraper ce qu’ils n’ont pas pu avoir la journée, toujours à cause de la pression, on en arrive bien souvent et malheureusement d’ailleurs, à des accidents. Au passage, rouler la nuit leur permet aussi de se conformer aux tranches horaires auxquelles ils doivent rouler. Au passage et à titre d’exemple, pour un camion dont le poids total à charge (PTAC) est de 10 tonnes, de 6h à 9h et de 17h à 21h, il est interdit de rouler. Alors qu’à l’époque, il y avait plutôt une plage horaire : 7h-9h et 18h-20h, on ne roulait pas. Ce qui fait qu’on avait une bonne marge de manœuvre pour livrer le produit au client à temps. Aujourd’hui, il faut au moins 5 voyages aux chauffeurs pour pouvoir avoir la recette. Ce qui pousse beaucoup de machinistes à rouler n’importe comment, au mépris des règles élémentaires de conduite routière. A côté de cela, il y a toutes les taxes de l’Etat que le transporteur paie, notamment l’assurance qui a augmenté, la patente, la vignette, la carte de stationnement. A tout ceci, s’ajoute, il faut le dire, la tracasserie routière. Ce dernier point nous fatigue énormément, et nous empêche de rentabiliser. Par exemple, de Yopougon à N’Dotré, au moins 9 à 10.000F. Tu finis et obtiens une autre commande pour la Riviera, tu vas encore verser de l’argent à des agents postés sur le trajet. Pareil pour une autre commande pour le kilomètre 17 (route de Dabou). Le sable même, on le paie à 35.000 F à la carrière. Lorsque tu soustrais ce coût dans la recette de 80.000 F, puis 20.000F de carburant, cela revient à 55.000F de dépenses, plus les 10.000 F à prévoir pour verser aux policiers. Soit un ensemble de dépenses évalué à 65.000F. Par ailleurs, à Attinguié où se trouvent les carrières de gravier, une benne dépense, par voyage, au poste à péage, 10 000 francs. Donc, si la benne doit faire 4 voyages, ça fait 40 000 francs de dépense. Quand on multiplie par 28 jours de travail – parce que samedi et dimanche, généralement, les carrières ne travaillent pas – ça fait 1.120.000 francs de dépense au péage, en 28 jours. C’est un peu trop. Lorsque vous venez me voir pour une benne, à l’effet de transporter du gravier de 20 ou 30 tonnes, je vous facture le transport à 70.000 francs. Lorsque j’enlève 10.000 francs pour le péage, le prix du gasoil, et que je prévois quelque chose pour les frais de route ou tracasseries policières, finalement, si tu ne fais pas plusieurs voyages, tu ne t’en sors pas. Alors qu’aujourd’hui, avec les embouteillages et les tranches horaires durant lesquelles il nous est interdit de rouler, c’est compliqué. Encore, le ministère de la salubrité a délivré le paillon pour goutte d’eau dans le sable déversé par les camions au moment de leur passage sur la voie. Certes, on est passé de 150.000francs à 50.000 francs, mais il faut encore diminuer. Parce qu’autant de fois vous circulez, autant de fois vous devez payer. En somme, nos chauffeurs ont l’expérience, mais c’est la pression par rapport à tout ce que j’ai cité plus haut qui nous fatigue.
Autre constat, c’est que pour la plupart, les véhicules que vous utilisez ne sont pas forcément en bon état, et encore le fait qu’aujourd’hui les conducteurs de ces gros porteurs sont de plus en plus jeunes. Il se dit que certains n’ont pas le permis de conduire. Tout ceci est vraiment inquiétant ?
Si, effectivement, les machinistes sont trop jeunes pour prendre les commandes des camions, et parmi eux, d’autres n’ont pas le permis, comme on le prétend. Il appartient à l’Etat de sévir. Sinon, tous les conducteurs avec nous ont obtenu leur permis de conduire. Concernant l’état du matériel roulant, je peux vous assurer que les camions ont les pièces au complet.
Depuis le 05 juillet 2022, l’OSER a annoncé qu’à partir de janvier 2023, tous les conducteurs de véhicules de plus de 22 places et de plus de 10 tonnes doivent avoir le Certificat d’aptitude de conducteur routier (CACR). Qu’en est-il au niveau de votre fédération ?
A la gare ici (Ndlr : interview réalisée le samedi 25 février au quartier ‘’Sable’’ à Yopougon), nous sommes plus de 400 chauffeurs. Quand la formation a été effectivement lancée, on nous a demandé le nom des chauffeurs. On a transmis permis de conduire et autres documents d’une trentaine parmi eux, afin qu’ils soient formés. Seules 04 personnes ont été prises. Jusque-là, le diplôme, c’est-à-dire, le CACR, n’a été délivré à aucune de ces personnes. On n’a même fait des démarches pour signifier qu’au-delà, beaucoup d’aspirants attendent d’être appelés. On nous a même demandé de patienter. Nous sommes toujours dans cette attente.
Réalisé par Mathias Kouamé