Hospitalisation de Choguel Maïga au Mali: « repos forcé » ou AVC ?
Certains disent que le Premier ministre malien Choguel Maïga est toujours très malade, d’autres qu’il va mieux. Certains affirment qu’il a été évacué vers la Turquie, d’autres vers le Maroc… Au-delà de toutes ces conjectures sur l’état de santé du chef du gouvernement, une source malienne très bien informée répond à RFI avec humour : « Vous le savez bien, à Bamako, sans la rumeur, la rue meurt ».
Ce 24 août 2022, Choguel Maïga était toujours à la clinique privée Pasteur de Bamako, l’une des structures médicales les plus huppées de la sous-région. Il y occupe, d’après nos informations, l’une des deux chambres VIP. La pièce dans laquelle est depuis le 10 août le Premier ministre a une numérotation à trois chiffres.
Mais elle a reçu avant lui deux autres célèbres hommes politiques maliens. D’abord l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubéye Maïga, poursuivi par la justice et qui s’est éteint dans la clinique Pasteur le 21 mars 2022. Et avant lui, l’ancien président malien Ibrahim Boubacar Kéita (IBK), a été transféré dans le même lit, peu après le coup d’État qui l’a renversé le 18 août 2020. D’après nos informations, outre le lit, la pièce dispose d’un petit salon et d’une petite cuisine. Depuis son arrivée sur les lieux, les meilleurs médecins maliens se relaient à son chevet 24 heures sur 24.
De quoi souffre Choguel Maïga ?
L’unique bref communiqué officiel publié sur la page Facebook de la Primature depuis son hospitalisation est titré : « Le Premier ministre mis en repos forcé ». D’après le texte, « après 14 mois de travail sans répit, le Premier ministre, chef du gouvernement, Choguel Kokalla Maïga, a été mis en repos forcé par son médecin. » Trop confiant, son auteur termine : « Il [Le Premier ministre Choguel Maïga ; Ndlr] reprendra ses activités la semaine prochaine. Inch’Allah ».
Non seulement ce dernier n’a pas repris ses fonctions, mais le 21 août, le président de la transition malienne, le colonel Assimi Goïta a désigné un autre colonel, Abdoulaye Maïga, pour assurer l’intérim. « Le colonel Abdoulaye Maïga, ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation, est désigné pour assurer l’intérim de M. Choguel Kokalla Maïga, Premier ministre, chef du gouvernement », précise le décret.
Cette nomination a relancé les rumeurs sur l’état de santé réel du chef du gouvernement. D’après nos informations, Choguel Maïga souffre d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique. Selon une source médicale, « l’AVC ischémique se produit généralement lorsqu’une artère cérébrale est obstruée ».
Deux sources au cœur du dossier interrogées séparément par nos soins se prononcent sur l’évolution de son état : « Il faut respecter le secret médical. Ce que je peux dire, c’est confirmer l’AVC ischémique. Mais je veux ajouter qu’il est au stade actuel en bonne voie de récupération. » Selon la seconde source, « pour le moment, on peut dire que l’évolution est favorable. Globalement, ça va. À ce jour, il articule, mais il marche un peu difficilement. »
Les deux sources citées séparément insistent cependant : même si la clinique privée Pasteur de Bamako au sein de laquelle Choguel Maïga est hospitalisé est équipée pour faire face à la situation, son évacuation vers l’extérieur sera nécessaire en vue de soins plus poussés. « L’ancien président IBK [décédé en janvier dernier ; Ndlr] a eu quasiment le même mal. Hospitalisé ici à Pasteur, on a bien fini par l’évacuer malgré le haut niveau du plateau technique », achève de convaincre un des deux interlocuteurs cités plus haut.
Choguel Maïga pourra-t-il revenir dans le jeu politique ?
Officiellement, le Premier ministre est déchargé temporairement de ses fonctions et devrait donc, en principe, revenir occuper son fauteuil une fois la santé recouvrée. « Ça dépend de plusieurs facteurs, et le maître des horloges reste le président Assimi Goïta », consent à dire un diplomate malien à la retraite, qui a plutôt ses entrées dans les rouages de l’État malien.
Le retour de Choguel Maïga sur la scène va d’abord dépendre de son rétablissement total. « Peut-il travailler encore 14 heures par jour ? Pour le moment, j’en doute. Il faut avoir les reins solides pour occuper les fonctions de Premier ministre. Si son rétablissement doit nécessiter plusieurs mois, ça va être difficile de le revoir à la Primature. Le temps n’attend pas », analyse un ancien chef du gouvernement qui est toujours actif dans le marigot politique local. Plus philosophe et malicieux, un administrateur malien connu pour sa longue expérience professionnelle confie : « Héraclite disait qu’on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. »
Selon un parent proche de Choguel Maïga, « la principale préoccupation pour le moment n’est pas du tout le retour sur la scène politique, mais se soigner. Entre sa santé et la politique, nous préférons sa santé. »
L’homme tombe malade au moment où il est de plus en plus question de rebattre les cartes politiques, d’ouvrir les portes du gouvernement à d’autres formations politiques, avec plusieurs options. La première, avec son maintien à la tête du gouvernement, la deuxième, avec son départ. La nomination d’un intérimaire est considérée politiquement par certains comme son premier pas vers le chant du cygne.
Un Premier ministre en perte de soutiens
C’est vrai que politiquement, depuis quelques mois, Choguel Maïga a quitté l’autoroute, pour une vicinale, un chemin étroit. Il a perdu plusieurs de ses soutiens et le cercle de ses adversaires s’est agrandi. Impopulaire au sein d’une frange du Conseil national de Transition (le parlement de transition), cet ingénieur titulaire d’un doctorat en télécommunications a par ailleurs perdu une importante partie de ses alliés au sein du M5-RFP, mouvement hétéroclite qui a contribué à la chute de l’ancien président IBK.
Créé le 5 juin 2020 et composé de partis et de mouvements politiques, le Rassemblement des forces patriotiques avait désigné Choguel Maïga comme son « président du Comité stratégique ». Aujourd’hui, le M5-RFP a deux branches : une pro-Choguel, et une anti.
Écarté momentanément de la gestion des affaires de l’État au plus haut niveau, l’homme âgé de 64 ans pourrait également avoir du mal à se relever politiquement pour une autre raison. Son parti, le Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR) reste « un petit parti » sur l’échiquier politique, et n’a pas véritablement pu s’implanter sur le territoire national. Depuis sa maladie, ses partisans sont également beaucoup moins actifs sur les réseaux sociaux. Une absence supplémentaire de visibilité.
Une autre question revient depuis son hospitalisation : va-t-il manquer aux militaires ? De notoriété publique, l’homme avant son AVC ne faisait plus l’unanimité au sein des colonels auteurs de deux coups d’État. « Il était en tout cas plus toléré qu’accepter par certains », analyse un observateur local. Sa maladie serait, comme dit plus haut, une occasion pour « le débrancher politiquement ».
« Tant qu’un homme politique est en vie, tout peut arriver »
Cependant, les partisans du Premier ministre alité, qui s’affichent toujours, rappellent sa « ténacité ». L’homme est effectivement tenace : ministre à deux reprises, en 2002, pour quelques années (il détient alors le portefeuille de l’Industrie et du Commerce), puis en 2015, lorsqu’il revient au gouvernement, plus précisément au ministère de l’Économie numérique et de la Communication…
Et pour parvenir à ses fins, il peut manger à plusieurs reprises un bout de son chapeau. Lui, par exemple, qui exigeait un président civil pour la Transition, va finalement travailler avec le colonel Assimi Goïta, avant de devenir son porte-parole virulent contre l’ancien partenaire, la France. Il a également mangé son chapeau sur ce qui est un peu le Graal de son parcours politique : l’accord de paix d’Alger, signé entre les ex-rebelles du Nord et le gouvernement. Il a toujours estimé que cet accord conduirait inévitablement à la partition du Mali. Adepte d’un nationalisme ombrageux, il est néanmoins aujourd’hui prêt à appliquer l’accord « de manière intelligente ».
Choguel Maïga a désormais abandonné une autre de ses revendications : la dissolution du Conseil national de Transition (CNT), organe législatif de la Transition. Au nom du M5-RFP qu’il dirigeait à l’époque, il avait même demandé à la justice de déclarer « illégal » cet organe. Saura-t-il rebondir ? Mamadou Cissé, sociologue et enseignant malien, rappelle une formule connue : « Tant qu’un homme politique est en vie, tout peut arriver ».
Rfi