Hommes et femmes battus, excision, maltraitance… / BessiAssiri Josiane (Directrice du Programme de lutte contre les VBG): « Les chiffres font froid dans le dos »
Ce sont des faits, malheureusement, d’actualité. Il ne se passe pas, en effet, de jours sans qu’on ne fasse cas de situations d’excision, de maltraitance d’enfants, de domestiques ; de femmes et d’hommes battus au foyer. Pourtant, les instruments et mécanismes existent désormais pour une ‘‘tolérance zéro’’. C’est ce que nous a rappelé la Directrice du Programme national de lutte contre les VBG, BessiAssiri Josiane dans cet entretien.
Vous prenez part à une projection cinématographique dont le thème parle de l’excision. Pourquoi était-il important pour le Ministère de la Femme, de la Famille et de l’enfant (MFFE), à travers vous, d’être représenté ?
D’abord, je tiens à dire merci au réalisateur de ce film, « Secret de femme », qui a pour thématique principale l’excision ou la mutilation génitale féminine. Nous savons tous que c’est un sujet d’actualité ici. En Côte d’Ivoire, les chiffres sont assez alarmants. Nous sommes aujourd’hui à 37% de mutilations génitales féminines, c’est-à-dire sur100 femmes, nous en avons environ 37qui sont mutilées en Côte d’Ivoire. Et ce sont des chiffres qui donnent froid dans le dos, d’autant plus que ces pratiques n’ont aucun avantage pour la santé de la femme. Elles constituent, particulièrement, un frein à son épanouissement. Parce qu’il y a de nombreuses conséquences qui sont attachées à cette pratique. C’est donc la raison pour laquelle le Ministère, qui porte cette thématique, a décidé d’accompagner la diffusion de l’avant-première de ce film.
A travers votre présence, quel message doit-on percevoir ?
Le message essentiel, c’est vraiment l’engagement de tous. La lutte contre les mutilations génitales féminines, comme je l’ai dit, a d’innombrables conséquences qui peuvent aller jusqu’au décès des victimes. Et, il faut pouvoir toucher toutes les victimes sociales de notre pays. C’est vrai que c’est en français, mais c’est (Ndlr : le film ‘‘Secret de femme ‘’) un outil de communication, un outil de sensibilisation que nous pouvons utiliser pour aller vers les communautés, et parler de la question afin qu’on puisse vraiment travailler à l’éradication de la mutilation génitale féminine.
Quelles sont les grandes actions que mène le MFFE sur cette question bien précise ?
Je voudrais dire que tout part du constat que c’est une question qui préoccupe, à plus d’un titre, et au risque de me répéter, le Gouvernement tout entier. Parce que le président de la République lui-même a décidé de réduire de 15%, les mariages forcés et les mutilations génitales féminines, d’ici à 2030. Pour en arriver là, l’Etat de Côte d’Ivoire a élaboré un document, qui est la Stratégie nationale de lutte contre les VBG, adopté depuis 2014, et qui permet de déployer des actions de lutte contre les VBG en Côte d’Ivoire. Il y a donc des axes d’intervention qui sont la prévention, la prise en charge mais également la lutte contre l’impunité et la collecte de données. En plus de cette action, l’Etat de Côte d’Ivoire a décidé de faire un focus spécifique sur les questions de mutilations génitales féminines, à travers l’élaboration d’un plan national pour l’abandon des mutilations génitales féminines. Récemment, nous étions en atelier pour l’adoption de ce plan qui sera communiqué très bientôt, pour qu’on puisse orienter les actions de façon très spécifique, afin d’atteindre cet objectif qui est la réduction de 15%, d’ici 2030, des mutilations génitales en Côte d’Ivoire. Pour déployer ces actions, Mme la ministre de la Femme, de la Famille, de l’enfant, Mme Nasseneba Touré a mis en place, à travers le Programme de lutte contre les VBG, des plateformes de lutte contre les VBG. En Côte d’Ivoire, nous avons, aujourd’hui, 82 plateformes qui regroupent des acteurs qui interviennent sur la thématique, qui mènent des activités de sensibilisation, des dialogues communautaires avec la communauté pour un changement de comportement. Parce qu’il ne faut pas oublier que les mutilations génitales féminines sont attachées à des pratiques dites culturelles, qui nourrissent leur survie ou leur recrudescence. Il y a les dialogues communautaires qui sont engagés avec la communauté (les femmes, les hommes), mais également avec les leaders communautaires qui sont les porte-voix de ces pratiques parfois, ou qui les couvrent, qui les cachent, afin de vraiment les emmener à un changement de comportement.
Il n’y a pas que les cas d’excision. Il y également, et notamment, des cas de femmes battues au foyer, des cas de maltraitance d’enfants. De façon générale, que fait le MFFE concernant ces autres cas ?
On ne peut pas traiter d’un sujet basé sur les VBG en occultant les autres. Donc, quand nous intervenons sur les stratégies d’intervention, nous prenons en compte ces 6 types de VBG que sont le viol, les agressions sexuelles, les agressions physiques, les mariages forcés, les mutilations génitales féminines, les dénis de ressources et la question des violences conjugales. C’est donc dans cet ensemble que nous intervenons. En termes de réponses, comme je l’ai dit, il y a la question de la prise en charge qui demande une intervention multisectorielle globale, avec des acteurs qui traitent également de la question, comme les Ministères de la Santé ; de la Justice ; de la Sécurité, mais aussi, le Ministère de la Femme, qui traite de la question de la prise en charge psycho-sociale. C’est tout cet arsenal que nous déployons pour encadrer ou bien pour emmener une certaine résilience des survivants des VBG. Il faut prévenir, mais également les prendre en charge, à travers les ministères techniques impliqués dans la réponse. Mais aussi nous-mêmes, en tant que travailleurs sociaux, nous agissons pour la prise en charge psycho-sociale de toutes ces femmes et tous ces hommes aussi, parfois, victimes de violences conjugales en Côte d’Ivoire.
Quelles sont les zones qui sont encore ancrées dans la pratique de l’excision ?
Concernant la pratique des mutilations génitales féminines, il faut dire que les zones les plus touchées sont le Nord, le Nord-ouest, l’Ouest, l’Est. Il y a également le Centre. Au Nord, par exemple, on va jusqu’à 80-85% de cas. Au Centre, nous sommes autour de 70%. A l’Est, également. Mais, il ne faut pas oublier la zone d’Abidjan, qui est une zone cosmopolite où cette pratique existe. A Abidjan, nous tournons autour de 24% de cas de mutilations génitales. Vous comprenez que toutes les zones du pays sont touchées, à des proportions différentes. Sinon, il n’y a pas une zone de la Côte d’Ivoire qui est épargnée. Aussi, il ne faut pas oublier que dans les zones transfrontalières, il y a ces pratiques. Des pays voisins qui pratiquent aussi ces mutilations. Il y a des mouvements de populations de part et d’autre. Lorsque la répression est accrue dans un pays, les populations vont dans un autre pays pour faire la pratique, et on revient après en Côte d’Ivoire, et vice-versa.
Justement, parlant de la sous-région, quel est le pourcentage de la Côte d’Ivoire par rapport ces autres pays?
37% de cas en Côte d’Ivoire, c’est déjà assez élevé. Je ne dis pas que les autres ont un taux élevé, mais il y a également le Mali, la Guinée qui ont des taux élevés. Mais on ne va pas se fixer sur les taux pour nous conforter dans notre position, mais plutôt engager le combat pour qu’on aille à zéro tolérance, aux mutilations génitales féminines. Parce que c’est ce que l’Etat demande. Aucune tolérance concernant les VBG, et spécifiquement concernant la mutilation génitale féminine. Mme la ministre ne cesse de nous le répéter, les VBG ne sont plus tolérées en Côte d’Ivoire, y compris les mutilations génitales féminines. Donc, on prône zéro tolérance à la VBG, zéro tolérance à la mutilation génitale féminine en Côte d’Ivoire. Pour en arriver à cela, il faut qu’il y ait un engagement de tous. Aussi bien des politiques, des organisations de la société civile, mais également de toute la communauté entière, pour éradiquer ce phénomène.
Pouvez-vous rappeler les sanctions encourues ?
Par rapport aux sanctions, il faut dire que concernant les mutilations génitales, c’est de 5 années de prison avec une amende de 380.000 à 1 million de FCFA. Il faut souligner que lorsqu’il y a décès, on peut aller jusqu’à la prison à vie. Si cette pratique est faite par le corps médical ou paramédical, il y a une interdiction d’exercice de la profession pendant 5 ans, et risque de radiation de la corporation.
Comment le ministère compte soutenir des initiatives, comme des productions cinématographiques dénonçant l’excision ?
C’est un outil de sensibilisation. Il y a des journées dédiées à la lutte contre les mutilations génitales féminines qui se déroulent pendant la période de février, précisément du 6 au 9. On fait des campagnes pour lutter contre les mutilations génitales. Donc justement, cet outil pourrait servir au ministère pour accompagner cette campagne. Comme je l’ai dit, on a également des plateformes de lutte contre les VBG qui peuvent être utilisées. Cette œuvre sera un prétexte pour amener à une communication, à échanger avec la communauté sur le sujet, et ressortir, à travers des discussions, des échanges, les méfaits de cette violence et arriver à y mettra fin. C’est donc un outil qui intéresse le ministère. Le ministère a déjà produit pas mal de téléfilms sur le sujet. Ce film vient donc complèter cet arsenal d’outils disponibles pour mener la campagne contre les mutilations génitales féminines.
Revenons sur le taux de 24% de cas dans la zone d’Abidjan. Qu’est ce qui explique ce fort pourcentage, quand on sait que tout ce qui faut comme moyens pour mener le combat s’y trouve ?
Il y a le fait que c’est une pratique qui est très cachée, très protégée. C’est une pratique qui est couverte par d’autres cérémonies. Cela fait que, très souvent, on n’a pas l’information sur les cas. En outre, il y a la réticence, souvent, à dénoncer, sans oublier que nous sommes dans une ville cosmopolite où il y a un brassage culturel. Ce qui fait qu’on déporte des pratiques culturelles qui se rapportent à des rites initiatiques, notamment à Abidjan. Des pratiques de plus en plus faites à bas âge, contrairement aux périodes passées. Avant, on se disait que c’était une période d’initiation. Des bébés de 3 semaines, de 1 mois sont excisés. En ce moment-là, si autour de la famille il n’y a personne pour dénoncer, ces actions sont se perpétuer.
Réalisé par Mathias Kouamé