
Assalé Tiémoko, sur le problème du foncier : « Si on joue avec le droit de propriété, il n’y a plus de République «
Lemandatexpress – Assalé Tiémoko, le député-maire de Tiassalé, s’est prononcé à nouveau sur le problème du foncier qui agite la Côte d’Ivoire. Dans un entretien accordé à Brut Afrique, il dénonce des pratiques mafieuses et propose des réformes pour protéger les droits des citoyens.
Que pensez-vous du problème du foncier ivoirien qui bat plus que jamais son plein actuellement ?
En Côte d’Ivoire, il y a une véritable mafia du foncier qui est très composite, qui comprend des faussaires, des responsables, des acteurs du système judiciaire, des acteurs de l’administration. Et tout ce monde-là participe depuis des décennies à agir dans le faux et accaparer des terres. Donc la corruption est très forte dans ce domaine et c’est justement elle qui justifie le fait que rien n’avance quand les victimes sont connues.
Corruption à quel niveau ?
À tous les niveaux, il y a de la corruption. D’ailleurs, le ministère de la Construction, qui est le premier élément dans lequel se passent ces événements, reconnaît que des agents ont trempé dans des pratiques de faux. Le ministère dit avoir licencié plusieurs personnes. Au niveau des chefferies de communautés, il y a également de la corruption. Les mêmes chefs peuvent signer pour la même terrain plusieurs attestations villageoises. Au niveau du système judiciaire, il y a des acteurs, des notaires, des avocats. Au niveau des tribunaux, il y a des acteurs qui participent à tous ces systèmes. Donc la corruption est à tous les niveaux et complique fortement la chose.
Vous avez parlé dans une vidéo de bombe à retardement, c’est-à-dire ?
Il y a ce qu’on appelle le foncier urbain, le foncier rural. Ce qui se passe dans le foncier urbain est l’illustration de ce qui se passe en grandeur nature dans le foncier rural. Parce que là-bas, ce sont des milliers d’hectares de terres qui sont concernés. Des gens débarquent dans les villages avec des décisions de justice rendues parfois par défaut et accaparent des milliers d’hectare de terres avec des forces de la République qui les accompagnent pour déguerpir des villages entiers. Tout ça est en train de créer une sorte de frustration qui se sédimente et qui, à terme, pourrait pour exploser. Tout le monde sait que le foncier à terme va être la prochaine bombe sociale en Côte d’Ivoire. Les régimes successifs qui ont géré le pays n’ont pas pris ce problème vraiment à bras le corps et tenté de démanteler cette mafia, qui agit au quotidien au si et au vu de tout le monde et qui, malheureusement, n’est pas punie.
C’est un système, selon vous ?
C’est un vrai système. Ils sont connectés et tout le monde gagne là-dedans parce que une fois que le mal a été commis pour que ça soit réparé, ça prend des années. Certains agissent par derrière, rachètent les biens pendant que les procès sont en cours. Donc, c’est un processus qui est très huilé et qui permet aux gens d’agir comme ils le font.
Vos enquêtes, vous les faites en tant que journalisme d’investigation en tant que politique ?
Non pas en tant que politique. C’est en tant que journaliste d’investigation que nous faisons les enquêtes. C’est vrai que, après le politique, en tant que député, peut prendre la relève pour exprimer, prendre la parole pour les populations. Donc ce sont les deux casquettes que j’utilise. Le journaliste agit en amont et le politique en tant que député reprend la chose pour interpeller les autorités qui décident.
Aujourd’hui, vous êtes identifié évidemment comme un journaliste mais surtout comme un politique, peut-être un homme politique qui va se présenter à la présidentielle. Forcément, on se dit que vous faites aussi campagne peut-être sur ce dossier là…
Ce sont des thématiques qui sont centrales. Je pense que c’est une thématique qui ne sera pas absente du débat politique qui arrive. Et donc ce sont des choses qui touchent vraiment la vie des Ivoiriens, qui sont très sensibles. Et il est tout à fait normal qu’un acteur politique puisse prendre ce problème et en parler pour que les solutions soient trouvées.
Est-ce que vous avez envie qu’une loi soit votée par rapport à ce qui se passe ?
Nous pensons qu’il y a une vraie réforme à la fois judiciaire et administrative à faire pour que les droits des uns et des autres soient protégés. On nous a fait croire que l’arrêté de concession définitive (ACD) était bun document absolument blindé, qui protégeait son détenteur, ses détenteurs. Mais aujourd’hui, on a la preuve que même avec un ACD, on n’est pas l’abri des opérations. On n’est pas à l’abri de perdre son bien par la force publique. Et donc c’est des choses qu’on doit discuter en profondeur pour trouver des lois qui encadrent au mieux les droits des gens. On ne peut pas jouer avec le droit de propriété qui est un fondamental. C’est un élément fondamental de l’État de droit. Si on joue avec ça, il n’y a plus de République. Donc, nous pensons qu’une réflexion profonde doit être faite, et que nous devons reformer ce secteur. C’est des centaines, voire des milliers de personnes qui ont été victimes de cette mafia qui agit à la fois en zone rurale et en zone urbaine.
Source : Brut Afrique