Côte d’Ivoire : Ouattara, Meyliet, Téné, Thiam, Gbagbo, Blé…, ce qui les attend à 9 mois de la présidentielle
Lemandatexpress – En Côte d’Ivoire, la présidentielle 2025 approche à grands pas. Un scrutin entouré de plusieurs inconnues. En effet, tout comme la candidature du président Alassane Ouattara, qui reste en suspens, suscitant des supputations en tous genres, le doute subsiste sur les capacités de Tidjane Thiam à concrétiser ses ambitions. Quid de Simone Gbagbo et de son ex-époux Laurent Gbagbo, son ex-époux, jusque-là frappé d’inéligibilité ? Sera-t-il réhabilité ainsi que Blé Goudé ? Autant d’interrogations, qui fondent toutes les attentes les plus pressantes autour de cette élection.
Après plusieurs bouleversements politiques et sécuritaires d’envergure, la Côte d’Ivoire se dirige vers une élection présidentielle sensée acter un tournant décisif dans la démocratie ivoirienne. La reconfiguration de la scène politique, après le décès d’Henri Konan Bédié (août 2023), à qui a succédé Tidjane Thiam ; et le retour de Laurent Gbagbo de la CPI, renforcent les enjeux de ce scrutin. Il y a aussi, la déclaration de candidature toujours attendue d’Alassane Ouattara, le président sortant, qui polarise les attentions.
Dans sa publication du 02 janvier, Jeune Afrique a ainsi consacré un focus à cette échéance électorale, mettant en perspective toutes les inconnues qui l’accompagnent, à commencer par la question concernant candidature du chef de l’État. Un document dont lemandatexpress.net vous présente un large extrait.
Les inconnues de la présidentielle 2025 selon JA
Alassane Ouattara sera-t-il candidat à un quatrième mandat ?
Depuis des mois, chacune de ses prises de parole est extrêmement attendue. Jusqu’au bout de ses interventions, sa famille politique espère une annonce, comme ce fut le cas lors de son dernier discours face aux parlementaires, en juin 2024. « Mon protocole me dit que vous êtes déçus [par l’absence d’annonce], mais ce sera pour la prochaine fois », avait-il affirmé, un brin facétieux, à la fin de son allocution face à des députés et à des sénateurs dépités.
Alassane Ouattara, 82 ans, continue donc d’entretenir le suspense à moins d’un an de l’élection présidentielle. « Il ne se précipitera pas », assure un intime, qui croit savoir que sa décision ne serait, pour l’heure, pas encore prise. Reste que la question du timing de cette annonce est centrale, en particulier en cas de retrait et de passage de témoin. Plusieurs sources dans l’entourage du chef de l’État évoquent le premier semestre 2025, quand d’autres avancent une date plus tardive, en milieu d’année prochaine.
Nous nous sommes tous accordés pour dire que ce qui est en jeu, c’est la victoire éclatante du RHDP, la victoire de notre champion, de notre mentor, de notre candidat naturel, de Son Excellence Alassane Ouattara à l’élection présidentielle de 2025.
Quoi qu’il en soit, les membres du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir) n’entrevoient pas d’alternative à leur « candidat naturel », dont ils ne cessent de défendre le bilan. « Nous nous sommes tous accordés pour dire que ce qui est en jeu, c’est la victoire éclatante du RHDP, la victoire de notre champion, de notre mentor, de notre candidat naturel, de Son Excellence Alassane Ouattara à l’élection présidentielle de 2025 », déclarait fin mai 2024 Gilbert Koné Kafana, le président du directoire du parti, lors d’une réunion à Abidjan. Les appels à la candidature du chef de l’État se multiplient depuis des mois, entre organisations de « giga-meetings » dans les stades du pays et mobilisations plus confidentielles à l’initiative d’élus locaux.
En mars 2020, pourtant, le président ivoirien avait annoncé son intention de ne pas se représenter afin de « laisser la place à une jeune génération » et de se consacrer à sa famille et à sa fondation. Il avait adoubé dans la foulée son Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, son « fils » et « plus proche collaborateur », l’héritier politique qu’il préparait depuis longtemps à lui succéder. Mais le décès de ce dernier quelques mois plus tard, le 8 juillet, emporté par un infarctus à Abidjan, avait modifié tous les plans. Alassane Ouattara avait finalement fait volte-face « par devoir citoyen », arguant d’un « cas de force majeure ».
Une décision qui avait ouvert la porte à une importante crise politique, l’opposition faisant bloc pour fustiger un troisième mandat qu’elle estimait anticonstitutionnel, appelant à la désobéissance civile et refusant de participer au scrutin présidentiel. Selon le bilan officiel, au moins 87 personnes avaient été tuées et 484 autres blessées dans les violences survenues en marge du processus électoral.
Si le président renonce, quel candidat pour le RHDP ?
« La décision reviendra à Ouattara et à lui seul », répètent les ministres et les caciques de la mouvance présidentielle, et tant pis pour ceux que l’idée d’une primaire aurait pu séduire. Dans cette période d’incertitude, chacun en est donc réduit aux spéculations. Des noms reviennent, certains plus évidents que d’autres, comme celui du vice-président Tiémoko Meyliet Koné, 75 ans, ancien gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Depuis qu’il l’a nommé le 19 avril 2022, Alassane Ouattara s’appuie beaucoup sur lui, notamment pour le représenter lors des principaux sommets internationaux, comme récemment à la COP29 en Azerbaïdjan. Originaire de Tarifé, petite ville du nord de la Côte d’Ivoire, Tiémoko Meyliet Koné est un technocrate réputé rigoureux, mais peu porté sur la communication, et qui reste assez méconnu des électeurs ivoiriens.
Le ministre de la Défense, Téné Birahima Ouattara, que plusieurs cadres du Nord verraient bien succéder à son frère si celui-ci devait quitter le pouvoir, s’est déjà prononcé sur la question. Dans un entretien accordé en juillet 2024 à Jeune Afrique, il s’est dit « ni preneur ni demandeur ». « C’est un homme apprécié et compétent qui ne met pas en avant sa filiation avec le président, et qui travaille. Mais il n’est pas certain qu’Alassane Ouattara ait envie de créer une dynastie ni que son frère décide de prendre le risque d’y aller », résume une source proche du président.
Discret depuis son départ de la primature en octobre 2023, l’ancien secrétaire général de la présidence Patrick Achi, 69 ans, reste très actif dans la Mé (région du sud de la Côte d’Ivoire qu’il dirige et où il est le coordonnateur du RHDP), tout en multipliant les expériences à l’étranger. Après une parenthèse en tant qu’enseignant-chercheur à l’université américaine Harvard, il vient d’être nommé conseiller externe du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Un possible outsider ? « Il pourrait faire le pont entre le PDCI [Parti démocratique de Côte d’Ivoire, son ancien parti] et le RHDP, mais aussi entre le Sud, dont il est originaire, et le Nord, où il compte beaucoup d’amis », analyse un intime.
Connu pour procéder à des nominations parfois déroutantes, comme celle de l’ancien gouverneur du district d’Abidjan Robert Beugré Mambé au poste de Premier ministre, Alassane Ouattara pourrait aussi une nouvelle fois surprendre en choisissant un profil plus inattendu. Autre option envisageable : un retrait en cours de mandat s’il devait être élu et une passation de témoin « en douceur ». Reste qu’au sein de sa formation politique, qui a dominé la concurrence lors des dernières élections locales, « personne ne s’impose sans contestation », constate une source proche du président. Dans ce contexte, les ambitieux préfèrent pour le moment faire profil bas.
Que pèsera Tidjane Thiam, le nouveau patron du PDCI ?
Méconnu, Tidjane Thiam, 62 ans, l’était pour une grande partie des Ivoiriens il y a encore un an. Qui se souvenait en effet de cet ancien ministre du Plan et du Développement à la fin des années 1990 sous Henri Konan Bédié, qui, depuis le coup d’État de décembre 1999, résidait à l’étranger ? Après plus de vingt ans hors du pays, entre la France, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Suisse, au gré de postes prestigieux dans la finance, le voilà à la tête du PDCI, confortablement élu en décembre 2023, après le décès brutal d’Henri Konan Bédié, le 1er août précédent.
Depuis la mort de Félix Houphouët-Boigny, en 1993, Bédié tenait l’ancien parti unique d’une main de fer, étouffant toute ambition susceptible de lui faire de la concurrence. Peu réformé, un temps allié d’Alassane Ouattara au sein du RHDP, le PDCI a souffert ces dernières années des querelles internes et des batailles de positionnement autour du chef. Après le décès de Bédié, le PDCI a accusé un net recul lors des élections locales de 2023. Cependant, il demeure le premier parti d’opposition en nombre d’élus et l’un des mieux implantés sur l’ensemble du territoire.
Depuis son élection, Thiam s’active pour rassembler ceux que son arrivée à la tête du PDCI a pu frustrer et pour mettre le parti en ordre de bataille en vue de 2025. Il a déjà procédé à une restructuration de l’appareil et multiplie les déplacements dans le pays, en réponse à ses détracteurs, qui l’accusent de ne pas connaître les réalités du terrain. Fils d’Amadou Thiam – ancien journaliste et ancien ministre ivoirien de l’Information – et d’une nièce de Félix Houphouët-Boigny, il n’est pas encore officiellement candidat et devra, pour l’être, renoncer à sa nationalité française au moins six mois avant l’élection.
En coulisses, certains accusent la direction du PDCI de vouloir imposer Tidjane Thiam comme seul candidat à la présidentielle de 2025. Car, déjà, un autre de ses membres a annoncé son souhait de briguer la magistrature suprême : Jean-Louis Billon. L’ancien ministre du Commerce est décidé à se maintenir coûte que coûte, malgré des tentatives de médiation entre les deux hommes.
La « gauche » parviendra-t-elle à s’unir ?
Laurent Gbagbo, fondateur du Front populaire ivoirien (FPI) dans les années 1980 et désormais à la tête du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), n’a pas dit son dernier mot. Rentré au pays après avoir été acquitté par la Cour pénale internationale, il a lancé, en juillet dernier, un appel aux partis d’opposition afin de former une coalition pour espérer battre le RHDP en 2025.
Une initiative saluée par son ancien Premier ministre, Pascal Affi N’Guessan, nouveau patron du FPI et candidat en 2025, convaincu lui aussi de la nécessité d’un front commun pour ravir le pouvoir à la formation d’Alassane Ouattara et « de ne pas s’enfermer dans les logiques de blocage ». Cette coalition pourrait inclure deux autres partis. D’un côté, le Mouvement des générations capables (MGC), de l’ancienne première dame, candidate pour 2025, Simone Ehivet Gbagbo. De l’autre, le Congrès pour la justice et l’égalité des peuples (Cojep) de Charles Blé Goudé. Ce dernier a dit prendre « acte de cet appel » mais a précisé qu’il lui donnerait « une suite en temps opportun ». Quant au mouvement Générations et peuples solidaires (GPS) de Guillaume Soro, aujourd’hui en exil, il n’a pas été directement consulté mais s’est publiquement exprimé en faveur « d’une collaboration sincère avec le PPA-CI ».
Reste que tous nourrissent des ambitions présidentielles. Anciens alliés, certains sont brouillés et ne se parlent plus depuis des années. « Il s’agit de savoir si nous sommes capables de dépasser les ressentiments au nom de l’intérêt général, estime Pascal Affi N’Guessan, qui n’a pas revu Gbagbo depuis janvier 2020. Il faut nous interroger sur la façon de sortir la Côte d’Ivoire de la politique que nous propose le RHDP, et sur la manière de reprendre notre projet de développement national, bloqué avec l’arrivée de la rébellion armée. Je considère que ces enjeux sont plus importants que tout. Même sur le plan individuel, notre avenir en dépend. »
Sauront-ils mettre leurs différends de côté et parviendront-ils à s’entendre sur une candidature commune ? Charles Blé Goudé explique qu’un éventuel soutien à une candidature de Simone Gbagbo dépendra « des idées et des programmes partagés ». Son parti tiendra un conseil politique début février 2025, lequel annoncera la date d’une convention pour désigner son candidat.
L’opposant, accusé de crimes contre l’humanité puis acquitté par la justice internationale mais sous le coup d’une condamnation judiciaire en Côte d’Ivoire, a par ailleurs appelé « solennellement » mi-décembre Alassane Ouattara à l’amnistier, afin qu’il puisse se présenter. Condamné en 2018 dans l’affaire dite du « casse de la BCEAO », Laurent Gbagbo, gracié par le chef de l’État mais pas amnistié, reste lui aussi inéligible. Ses proches militent activement pour sa réinscription sur les listes électorales.
Les Ivoiriens seront-ils au rendez-vous ?
En 2020, les électeurs ont connu une drôle d’élection, avec seulement deux candidats en lice après le retrait de l’opposition : Alassane Ouattara et Kouadio Konan Bertin (KKB). Ancien ministre transfuge du PDCI, aujourd’hui ambassadeur à Libreville, ce dernier avait fait office de sparring-partner dans cette course présidentielle. Le scrutin s’annonce cette fois plus ouvert. Dans l’opposition, personne n’évoque un nouveau boycott, même en cas de candidature du président sortant à un quatrième mandat.
Mais, malgré les campagnes de sensibilisation, peu d’Ivoiriens se sont fait enregistrer, ce qui aurait pourtant permis d’étoffer un corps électoral qui ne compte que 8 millions d’inscrits sur 12,5 millions de citoyens en âge de voter. Ce recensement, organisé sur l’ensemble du territoire du 19 octobre au 10 novembre derniers et finalement prolongé d’une semaine, n’a permis d’inscrire que 943 157 nouveaux votants, très loin des 4,5 millions de nouveaux électeurs potentiels. Pas de quoi contenter les partis de l’opposition, qui souhaitaient un délai plus long.
Martial Galé, source JA
Ndlr : le titre, le chapeau et l’introduction sont de la rédaction