Litige foncier à Adoukro : Joachim Beugré (maire de Jacqueville) accuse…
Nous sommes à moins d’un an de la présidentielle de 2025. Au moment où les Etats-majors des différents partis politiques affûtent leurs armes pour ce rendez-vous, ce n’est pas la cohésion et l’entente au niveau du camp présidentiel, dans la région des Grands ponts. Si on n’y prend garde, le feu qui couve risque de prendre des proportions non souhaitées
La mésentente entre le Ministre-Gouverneur du District autonome des Lagunes, Lohoues Essoh Vincent d’une part, et les élus RHDP et populations de Jacqueville, d’autre part, a, à l’évidence, atteint un point de non-retour. A l’origine, un litige foncier vieux d’une vingtaine d’années. Depuis mars 2023, le Conseil d’Etat, à travers l’arrêt n°82 du 22 mars 2023, a annulé le lotissement d’Adoukro Tranche 1 et 2, prévu dans le cadre du projet « Adoukro ville nouvelle durable et écologique » du promoteur Oda Edouard. Un projet immobilier qui devrait s’étendre sur 2400 ha à partir d’Adoukro, au niveau de N’Djem (descente du pont Philippe Grégoire Yacé, en direction de Jacqueville) et couvrir de nombreux autres villages de la région, dont Sassako-Begnini, Abrebi, Avagou.
Faisant fi de ladite décision, cet opérateur économique a maintes fois essayé de faire la pose de première dudit projet. Le 28 mars dernier, la jeunesse de la région a, au cours d’une manifestation, brièvement fermé l’accès à la région de Jacqueville au niveau de N’Djem, parce que l’entreprise du promoteur avait annoncé le lancement de son projet. Deux mois plus tard, face à la volonté du même acteur de faire aboutir son projet, les chefs de village et de terre de la région ont produit un communiqué pour dénoncer « une imposture ». Des mois après, il est annoncé pour le samedi 30 novembre, une autre cérémonie de pose de première pierre, cette fois, à Sassako-Begninin à 8km de N’Djem et 14km de Jacqueville, en provenance d’Abidjan.
Les mêmes causes produisent les mêmes effets
Il n’en fallait pas plus pour de nouveau réveiller les tensions. Plusieurs jeunes de la région, en réaction, ont occupé la plateforme qui devrait servir de lieu de la cérémonie. Ils y ont même déversé plusieurs tas d’ordures. Même si la garde du site est passée aux mains d’éléments de la gendarmerie, les protestataires, selon un constat effectué le mardi 26 novembre, ne sont pas bien loin. Certains parmi eux n’hésitent pas à camper en brousse pour garder à distance un œil sur le site en question. Ils nous ont confié leur volonté de ne pas se laisser faire afin de préserver la terre de leurs ancêtres. Selon nos informations, des barricades avaient commencé à être érigées dans la zone avant d’être levées des heures, après. Encore une fois, cela démontre que ce dossier est non seulement loin de connaitre un épilogue, mais surtout qu’il faut le prendre à bras le corps. En attendant, ses conséquences se sont déportées sur le terrain politique, mettant aux prises des personnalités de premier rang de la région. Fait intriguant, elles appartiennent toutes au même bord politique, à savoir au camp du parti présidentiel.
On se regarde en chien de faïence, au risque de compromettre l’avenir du parti dans cette zone et aussi laisser la porte ouverte à des aventuriers. Le maire de Jacqueville, Joachim Beugré, que nous avons interrogé sur le sujet, le jeudi 28 novembre, a livré des informations qui pourraient paraître graves, mais que l’ancien délégué départemental et actuel Coordonnateur régional associé du RHDP dans la région des Grands Ponts assume.
Sur le banc des accusés…
À la faveur de sa nomination en tant que Ministre-Gouverneur, selon le maire de Jacqueville, par ailleurs PCA de la Petroci, les élus, chefs de terre et de village de Jacqueville se sont déplacés à Dabou pour l’informer qu’ils avaient maille à partir avec l’opérateur économique qui tente de les spolier des 2400 ha. « À cette époque, le Ministre-Gouverneur s’était attrapé la tête pour dire comment cela peut être possible que Yacé Philippe, qui était le leader incontesté de Jacqueville, n’a pas eu cette superficie, et que cet opérateur puisse s’en approprier ? Avant de promettre de suivre le dossier ‘’de très près’’ », a révélé le maire.
Il a mentionné que les hôtes du jour lui ont fait confiance. Mais, « à notre grande surprise, cet opérateur que lui-même décriait avec nous, est allé le voir ; et subitement, il a donné sa caution institutionnelle à la réalisation de ce projet », accable Joachim Beugré. Pis, « Il (le coordonnateur principal) qui a été nommé afin que le parti (le RHDP) vive et glane des lauriers dans la région », s’est encoquiné avec M. Oda, concepteur du projet, qui lui, se sentant en danger, est allé chercher le parrainage du Ministre-Gouverneur. Ce dernier a pris fait et cause pour M. Oda en allant jusqu’à prendre en main ledit projet, prétextant que le chef de l’Etat l’a nommé pour qu’il lance de Grands projets de développement dans le District des Lagunes. A ce titre, il se saisit de ce dossier qui, selon lui, vaut 1.000 milliards », accuse encore le premier magistrat de Jacqueville. Alors que le territoire sur lequel doit être bâti le projet connaît un litige qui n’a pas encore été réglé.
Prétextant encore, toujours selon le maire, que le Conseil d’Etat n’avait pas tous les éléments en sa possession pour pouvoir mettre un terme au lotissement d’Adoukro, Lohoues Essoh Vincent a déclaré avoir « des éléments nouveaux » pour réviser la décision d’annulation. A travers l’ordonnance, No 32 du 14 juillet 2023, le Conseil d’Etat suspend l’exécution de l’arrêt du No 82 du 22 mars 2023 qui annulait le lotissement d’Adoukro Tranche 1 et 2. « Il a écrit au Conseil d’Etat pour demander la suspension de l’exécution de l’annulation. En réponse, le Conseil (d’Etat) par ordonnance No 32 du 14 juillet 2023 portant suspension de l’exécution de cet arrêt. Après avoir réécrit pour attaquer la décision No 82, il lui a été répondu que ses écrits « sont sans objet », par ordonnance No 35 du 3 août 2023. C’est donc, dans l’attente du verdict définitif que le Ministre-Gouverneur se saisit du dossier en lui donnant une caution institutionnelle. Il fait la campagne publicitaire à travers le lancement du projet à Dabou. Après quoi, il y a eu une première tentative de pose de première pierre, le 28 mars 2024, qui a échoué, face à la mobilisation des populations menée par la jeunesse et les chefs de village et de terre.
Le Coordonnateur régional associé du parti présidentiel de la région des Grands Ponts fait savoir qu’à partir de là, le Premier ministre, Robert Beugré Mambé, a demandé au mis en cause (ndlr: le Ministre-Gouverneur de la Région des Grands Ponts) de « se rapprocher de ses jeunes frères, les élus de Jacqueville », à savoir le maire, le député (Lobo Anké Léon), le Sénateur (Félix Bombro). Deux réunions ont donc été tenues aux bureaux annexés du Ministre-Gouverneur, à Abidjan. « Nous lui avons présenté le dossier, mais à notre grande surprise, il a piqué une colère disant : ‘’Vous ne comprenez rien ; il s’agit d’une affaire de 1.000 milliards, et je ne peux la laisser passer », a indiqué notre interlocuteur. Celui-ci a souligné que la délégation a essayé de lui faire comprendre que le dossier peut être bon, mais le sol est litigieux, et litige est porté devant la juridiction suprême qui a rendu une décision qui n’a pas encore été révisée. Puis « l’entêtement à soutenir un tel projet, peut provoquer une crise politique », a-t-il aussi dit, à l’occasion. Mais, il n’en a rien voulu.
Ces autres faits qui renforcent la division au sein d’une même famille politique
Autres actes posés, qui créent le malaise au sein de la même famille politique, dans la région, la nomination de l’opérateur économique Oda Edouard qui n’appartient pas au RHDP. Son nom est pourtant inscrit sur la liste des Coordonnateurs associés que le parti a fait venir. Cela, à la suite d’un « remaniement » du Coordonnateur principal, Lohoues Essoh Vincent, qui l’a positionné en tant que Coordonnateur associé, chargé de la sous-préfecture d’Atoutou, en faisant fi de l’organigramme venu de la Direction du parti depuis Abidjan. Dans sa lancée, le Ministre-Gouverneur a démis le délégué départemental du parti, élu dans la zone d’Atoutou, Koffi Jean Momboye, sous prétexte qu’il ne travaille pas correctement. C’est dans ce « cafouillage » qu’il revient encore pour la pose de la première pierre du même projet, cette fois à Sassako-Begnini, en impliquant les militants du parti présidentiel, les invitant à la cérémonie et promettant de payer leur transport et leur offrir également à manger. Le maire Joachim Beugré précise que le site sur lequel la cérémonie devrait être organisée est celui d’un autre opérateur économique dans l’immobilier qui avait préparé, afin d’y bâtir une villa-témoin. Il a aussi dit qu’il a écrit un courrier destiné au Ministre-Gouverneur avec ampliation à la Présidence de la République, à la Primature, à plusieurs ministères et autres entités. « Ça l’a mis en colère ». Il aurait, à son tour, écrit au Président de la République. De pareils agissements du Coordonnateur principal du parti expliquent clairement l’absence des 3 élus du parti de la ville de Jacqueville aux différentes réunions qu’il a convoquées, depuis sa nomination. « Parce que cela va contre les intérêts des populations de Jacqueville », a justifié le maire Joachim Beugré.
La pose de la 1ère pierre suspendue, « après la rencontre avec les plus hautes autorités de l’Etat »
La cérémonie de pose de la première pierre du projet, «Adoukro ville nouvelle durable et écologique » du promoteur Oda Edouard, Directeur général (DG) de de la Société générale d’investissement et de réalisation (Sgir), prévue ce samedi 30 novembre à Sassako-Begnini, est suspendue. C’est ce que nous a indiqué le Directeur de la Communication du District autonome des Lagunes, Akré Essoh Lohoues, joint au téléphone, le mercredi 27 novembre. Une information confirmée le même jour, toujours au téléphone par le préfet hors grade Attri Jean-Cyrille, par ailleurs Directeur de Cabinet du Ministre-Gouverneur du District Autonome des Lagunes. Il a accusé le 1er magistrat d’avoir instrumentalisé des jeunes qui ont déversé des ordures sur le site sur lequel devrait avoir lieu la cérémonie. « Dès qu’on nous a dit qu’on ne peut pas faire notre fête, on est resté dans notre coin pour faire les courriers de report. Pour le moment, on a levé le pied après la rencontre avec les plus hautes autorités de l’Etat », a-t-il assuré. Sinon, reconnait le Dircab, «il y a quelques réticences sur le terrain.».
Mathias Kouamé