Côte d’Ivoire : Trois ans après la rencontre Ouattara-Gbagbo, les avancées et les points de blocage
Lemandatexpress – Le 27 juillet 2021, la Côte d’Ivoire a été témoin d’un moment historique lorsque le président Alassane Ouattara et l’ancien président Laurent Gbagbo se sont rencontrés pour la première fois depuis la crise post-électorale de 2010-2011.
36 mois se sont écoulés après cette première rencontre post-crise électorale entre les deux adversaires du second tour de la présidentielle de 2010. À l’époque, ces retrouvailles avaient été perçues comme un geste de réconciliation nationale, suscitant de nombreux espoirs quant à l’apaisement des tensions politiques et sociales en Côte d’Ivoire. Et ce, au regard des accolades chaleureuses et du discours conjoint des deux leaders. Depuis lors, il y a eu des avancées mais aussi des blocages.
Sur l’esplanade du palais présidentiel, ce 27 juillet 2021, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo avaient donné l’image d’un nouveau départ. Une page semblait tournée à la lumière des discours apaisants des deux leaders. En substance, l’ancien chef de l’État avait demandé la libération des prisonniers politiques. « J’étais leur chef de file. Moi, je suis dehors aujourd’hui et eux, ils sont en prison. J’aimerais que le président passe par tout ce qu’il peut pour les libérer », avait plaidé le Woody.
Libération des prisonniers
Manifestement, ces retrouvailles ont contribué à réduire les tensions politiques. Des initiatives pour promouvoir le dialogue entre les différents partis politiques ont vu le jour, facilitant une meilleure collaboration. À titre d’exemple, la rencontre tripartite Ouattara-Bédié-Gbagbo du 14 juillet 2022. Aussi, en réponse aux appels à la réconciliation, plusieurs prisonniers politiques ont été libérés. 51 personnes ont été graciées en février 2024, parmi lesquelles le général Dogbo Blé Brunot, Gnatoa Katet Paulin, Kassé Kouamé Jean Baptiste et Koné Kamaraté Souleymane, le chef du protocole de Guillaume Soro.
Cette mesure a été saluée par de nombreux observateurs comme un geste de bonne volonté, renforçant la confiance entre les différentes factions politiques. « J’adresse toutes mes félicitations à Alassane Ouattara pour les mesures de grâce et de mise en liberté provisoire prises ce jour. Nous l’avons toujours souhaité, tout comme la construction d’un centre mémoriel. C’est un très grand pas dans la consolidation de la cohésion nationale », réagissait Pascal Affi N’Guessan (FPI).
Retour des exilés et réformes
En juillet 2023, la décrispation consécutive à la rencontre entre les deux personnalités a favorisé le retour de plusieurs exilés, dont les artistes Serge Kassy et François Kency, proches de Laurent Gbagbo. Ces derniers furent reçus, à leur arrivée, par le ministre de la Réconciliation nationale d’alors, Kouadio Konan Bertin. « Je pense que tout a été fait pour que nous soyons là aujourd’hui. Nous sommes heureux de nous retrouver dans notre pays, douze ans après, » se réjouissait Serge Kassy.
La réintégration dans la vie politique et sociale ivoirienne de ces exilés représente une étape cruciale vers la normalisation. Dans la même veine, des réformes institutionnelles ont été initiées pour renforcer la démocratie et l’État de droit en Côte d’Ivoire.
Des défis malgré tout
Malgré les avancées, des défis persistent concernant la justice et la réconciliation. Les partisans de Gbagbo réclament toujours des « procès équitables et la fin des poursuites sélectives ». La question de la responsabilité pour les crimes commis pendant la crise post-électorale reste un sujet sensible. Le 6 avril 2024, à Agboville, lors de la fête de la Renaissance, le président du PPA-CI n’a pas manqué de remettre au goût du jour l’affaire dite du braquage de la BCEAO.
Laurent Gbagbo rejetait, de ce fait, ce qui est considéré comme la cause de la perte de ses droits civiques. Car si le natif de Mama est gracié de sa condamnation à 20 ans de prison, seule une loi d’amnistie permettra de l’« absoudre » complètement et lui ouvrir les portes d’une candidature à la présidentielle de 2025. Dès lors, la réinscription de Laurent Gbagbo Bour la liste électorale apparaît comme un préalable pour les anciens frontistes. Ces derniers ont d’ailleurs investi leur champion le 10 mai dernier, envoyant ainsi un message au régime.
En parallèle, l’opposition politique dans son ensemble regarde d’un mauvais œil la candidature d’Alassane Ouattara à la présidentielle de 2025. Le 18 juin 2024, lors de l’adresse du président au Congrès, ils avaient espéré une réponse tranchée sur la question de sa candidature et de celle de Gbagbo. Que nenni.
Le ton se durcit
Par ailleurs, à quelque 15 mois de cette échéance, le ton se durcit dans le marigot politique, avec en toile de fond, le manque de confiance entre les uns et les autres. Pire, la Commission électorale indépendante est constamment prise pour cible, accusée de partialité et de dépendance vis-à-vis du pouvoir.
Au total, sans Henri Konan Bédié (décédé le 1er août 2023) mais avec Tidjane Thiam, nouveau catalyseur du PDCI-RDA, dans un même triumvirat, la bataille présidentielle approche sous un voile de méfiance. Les Ivoiriens sont partagés entre doute et espoir d’un scrutin apaisé, scrutant les faits et gestes des deux têtes de pont que sont le président Alassane Ouattara et son prédécesseur Laurent Gbagbo.