Interview / Amadou Coulibaly (président du patronat de la boulangerie et pâtisserie) : « Pourquoi la hausse du prix du pain est quasi inévitable »
Ce n’est pas la sérénité chez les boulangers-pâtissiers qui soutiennent qu’ils continuent de broyer du noir au point où, ils envisagent une hausse. Le président du patronat fait des éclairages
Récemment, vous avez organisé une rencontre au cours de laquelle, vous avez annoncé qu’avant janvier 2023, vous allez procéder à la hausse du prix de la baguette de pain. Qu’en est-il, exactement ?
Il faut situer le contexte de la réunion. Il s’agissait de faire un bilan de la situation des boulangers notamment, avec les grands acteurs. C’est une réunion qui succède à d’autres réunions qui se sont passées avec les boulangers, dans les quartiers, dans nos bases. Il était question de voir avec ces grands acteurs, quel était leur point de vue de la situation et ce que, nous pouvons envisager. Le constat a été amer, comme au cours, des autres rencontres : la situation de la boulangerie est très, très grave. Donc, de façon unanime, tout le monde a estimé que, seule une revalorisation pourrait sauver la situation du secteur de la boulangerie, actuellement.
Que voulez-vous dire par « la situation de la boulangerie est très, très grave » ?
La situation grave vient de loin. Vous savez, depuis 2008, le prix de la baguette de pain n’a pas évolué. Dans un monde où tout change et tout bouge, ce n’est vraiment pas du tout réaliste que le prix ne varie pas. Alors que, les intrants, chaque fois, connaissent des hausses. A titre de rappel, lorsque le prix de la baguette est passé de 125 à 150F, le prix du sac de la farine était à 11.500 F. Aujourd’hui, la farine est à 23.000F. Le SMIG était à 36.000 F. Aujourd’hui, le Smig est à 60.000 et va passer à 75.000 F. Le gaz était à 200 F et poussière ; aujourd’hui, c’est 700 F le kilogramme. Ce sont autant de charges qui font que, l’augmentation s’impose à nous.
La question que le citoyen lambda va se poser, c’est que, depuis novembre que la décision de revaloriser le SMIG a été prise en Conseil des ministres. Pourquoi donc avoir attendu jusqu’à maintenant ?
Il faut dire que, notre volonté de rehausser le prix de la baguette n’est pas forcément liée à la question liée au SMIG. Il faut savoir que depuis avril-mars, il y a une décision du gouvernement, suite à des négociations que nous avons eues. Il y a un certain nombre d’éléments d’accompagnement que le gouvernement devrait prendre.
Vous faites allusion au comité technique en charge de la filière blé, farine boulangère qui a été mis en place ?
Malheureusement, cela fait partie des décisions. A ma connaissance, hormis, l’exonération de droits de douane pour les meuniers et l’octroi d’appuis financiers aux acteurs de la production farine, concernant les boulangers, aucune décision nous concernant n’a été mise en œuvre. C’est ce que les boulangers ne comprennent pas. C’est vrai, nous n’en voulons pas aux meuniers. Ce sont nos partenaires. Mais, nous sommes dans une situation difficile. A la limite, on se demande, pourquoi, deux poids, deux mesures. Parce que, quand il s’agit des meuniers, les décisions ont été immédiates. Concernant les boulangers, même la création du comité de suivi pour connaitre les difficultés régulières de notre filière, n’a jusqu’aujourd’hui pas été mis en place. Bientôt un an que ça dure. Bon, les difficultés que nous avons, à qui nous nous adressons ? parce que juste après cette décision, il y a des intrants qui ont connu une hausse de prix. Dans ce cas, qu’est-ce qu’on fait. Dans ce cas, comment on fait ? Au moins, le comité de suivi devrait être mis en place. Ça n’a pas été fait. Aussi, il fallait autoriser une étude sur la mise en place d’une fiscalité adaptée à la boulangerie. Jusqu’aujourd’hui, nous n’avons rien vu. Vraiment, beaucoup de décisions ont été arrêtées mais jusqu’à présent, rien, rien n’a été matérialisé. Alors que, les boulangers continuent de souffrir. Et des changements arrivent encore, chaque jour. Le SMIG mais, avant ça, le prix des levures, les améliorants, le gaz, etc, continuent de flamber.
Dans quelles proportions, êtes-vous prêts à rehausser le prix de la baguette 232g et de 174g afin de vous permettre de vous en sortir ? le poids de ces deux baguettes restera-t-il en l’état ?
Il faut dire que, la question du prix dépend de plusieurs paramètres. Nous l’avons toujours dit, nous ne fixons pas un prix, juste pour le faire. Aujourd’hui, on nous parle de l’arrêt, bientôt, de la subvention de la farine. Dans cette hypothèse, le prix de la farine pourrait augmenter. On nous a déjà alerté que le prix de la farine pourrait augmenter, bientôt. Aujourd’hui, il sera donc hasardeux de nous prononcer sur un niveau de prix. Mais, en tout état de cause, lorsque, nous allons faire l’évaluation de nos coûts, nous allons donner un prix qui soit quand même un peu rémunérateur ; sinon, aujourd’hui, malheureusement, beaucoup de nos collègues sont en train de fermer. Nous concernant, nous sont au bord de la fermeture. A la réunion, il y a un collègue qui a annoncé qu’en janvier, il allait encore fermer 5 boulangeries. Il ne faudrait pas qu’on vienne être le médecin après la mort. On attend depuis longtemps. Finalement, on a l’impression que notre problème n’est pas pris avec le même sérieux que les autres acteurs.
N’est-ce pas, l’occasion, plus que jamais d’expérimenter les intrants locaux notamment, le manioc, le maïs, dont on parle tant ?
Les intrants locaux faisaient partie des décisions du gouvernement. Malheureusement, ces intrants reviennent plus cher. Et puis, en tant qu’acteurs de la boulangerie, nous avons besoin seulement que de la matière première. Pour cela, il fallait encore des décisions pour prévoir des projets de production en masse afin d’avoir une industrie de transformation pour que ces produits soient accessibles (à moindre coût). A l’heure actuelle, ces farines n’existent pas en quantité suffisante. Et encore, les coûts sont plus élevés que la farine de blé. Nous, en tant qu’opérateurs économiques, si nous avons de la farine moins chère que la population accepte, nous n’allons pas nous casser la tête.
Réalisée par Mathias Kouamé