Interview / Raréfaction de l’eau, réchauffement climatique/Dr Doba Soro prévient : « L’eau va devenir de plus en plus rare »
Titulaire d’un Doctorat en Sociologie Anthropologie à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké, Dr Doba Soro est Enseignant-Chercheur à l’Université de Man, Socio-anthropologue de l’eau. Il s’intéresse à la dimension sociale, culturelle et religieuse autour des questions d’eau, et analyse également les différentes politiques d’accès à l’eau. Dans cette interview, il tire la sonnette d’alarme sur l’usage de ‘‘ l’or bleu ’’ et sa plausible raréfaction, si l’on n’y prend garde.
On vous voit à travers villages et hameaux pour vous enquérir de la condition de l’eau potable. Quelle est la situation de cette ressource vitale en Côte d’Ivoire ?
Ces dernières années, les programmes du gouvernement et les partenaires au développement ont favorisé la mise en œuvre de points d’eau en milieu rural et dans les villes. Mais il faut reconnaître que de nombreuses communautés en milieu rural manquent encore d’eau potable. Des personnes continuent de s’approvisionner dans les rivières et les puits. Ces problèmes s’expliquent par le manque de pompes à motricité humaine et/ou les pompes non fonctionnelles. En milieu urbain, les problèmes d’eau se manifestent par l’irrégularité dans les robinets, et parfois sa qualité. En clair, la situation de l’eau potable, à tout moment et pour toutes les couches sociales dans tous les milieux, demeure un défi pour les populations ivoiriennes, et les statistiques du dernier RGPH en Côte d’Ivoire en témoignent.
Selon une étude d’AQUASTAT (2005), le continent compte dix-sept grands fleuves et une centaine de lacs auxquels s’ajoutent d’importantes nappes phréatiques. Les précipitations annuelles en Afrique totalisent 20 360 km3 environ, soit une moyenne à l’échelle du continent de 678 mm3. Et vous, vous dites que l’accès à l’eau est un défi. Comment est-ce possible ?
Cela pourrait paraître irréaliste pour certains, mais c’est une réalité. La plupart des Experts s’accordent pour dire que l’eau consommable va devenir plus rare dans de nombreux pays africains, dans les prochaines décennies. Environ 75% de la population africaine dépend des nappes phréatiques en tant que source d’eau potable, en particulier en Afrique du Nord et au Sud du continent. Or les eaux souterraines ne représentent pourtant que 15% du total des ressources en eau renouvelables en Afrique. Il y a déjà des lieux où les nappes sont déjà asséchées dans différentes zones. Cette nappe est régulièrement agressée et s’épuise, parfois sans se renouveler.
Est-ce le fait de la démographie croissante ?
Tout à fait. A cela, il faut ajouter aussi que la consommation globale d’eau a été multipliée par 6 au cours du dernier siècle, soit deux fois plus que le taux d’accroissement de la population. Or l’eau douce est une ressource limitée, qui équivaut à environ 2 % de la totalité de l’eau sur terre. Aussi, l’augmentation des besoins en eau douce, la croissance des populations, les sécheresses périodiques et la variabilité toujours plus grande des précipitations, suite au changement climatique, sont les éléments à la base des conditions de stress et de manque d’eau dans de nombreuses régions africaines et ailleurs dans le monde. Ces éléments énumérés influencent considérablement les eaux de surface que vous connaissez (fleuves, rivières et autres).
Par conséquent… ?
De ce point de vue, l’eau pourrait devenir de plus en plus rare dans certaines zones, notamment en Afrique subsaharienne. Par ailleurs, selon l’Observation Belge de le Terre (OBE), on estime que plus de 300 millions d’Africains font face à des conditions de “water scarcity” (raréfaction de l’eau), c’est-à-dire là où l’approvisionnement en eau par personne est inférieur à 1000 m³ par an.
Dans une contribution que vous avez eu à faire, vous avez estimé qu’un rapport (2017) sur le changement climatique montre que dans les prochaines années, l’eau va devenir de plus en plus rare dans des zones de la Côte d’Ivoire, et dans certaines zones du Burkina Faso, du Mali, du Tchad… L’eau consommable peut disparaître de la surface de la terre. Les nappes aussi peuvent sécher si elles sont surexploitées. De quel rapport s’agit-il, et quelles en sont les déclinaisons ?
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est l’organe international chargé d’analyser scientifiquement les changements climatiques. Il a été établi en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), en vue de fournir aux responsables politiques des évaluations scientifiques périodiques concernant les changements climatiques, leurs incidences et les risques futurs, et de leur présenter des stratégies d’adaptation et d’atténuation. C’est la plus grande entité, et reconnue comme fiable qui travaille sur le changement climatique. Je voudrais partager avec vous quelques points importants des différents rapports de 2014 à 2021 sur l’Afrique. Mais déjà, il est clair, selon les rapports, que le changement climatique n’est pas uniforme, même à l’échelle du continent africain. Selon le rapport de 2018, à l’ouest du Sahel et surtout au Sénégal, avec le réchauffement climatique, on s’attend à des épisodes de sécheresses de plus en plus longs. Dans le Sahel central, la plupart des modèles prédisent une augmentation des fortes précipitations, avec des risques d’inondation accrus en milieu urbain. Sur la côte sud de l’Afrique de l’Ouest, les pluies diluviennes pourraient provoquer des glissements de terrain qui affecteront les populations aux habitats précaires. En Afrique australe, les sécheresses vont se multiplier avec des vagues de chaleur plus intenses et plus longues. En Afrique du Nord, la plupart des modèles climatiques convergent vers une baisse importante des précipitations. Ces impacts seront toutefois moins importants si le réchauffement entraîne une hausse des températures de 1,5 °C que si elle atteint 2 °C.
Qu’en est-il des autres rapports ?
Le rapport de 2021 précise qu’en raison de l’acidification des océans, l’Afrique va subir une importante baisse de la nourriture des poissons, le phytoplancton, dans les eaux tropicales. Cela aura un impact sur les stocks de poissons qui pourraient diminuer de près de 40%, selon les spécialistes. Les poissons chercheront des conditions plus favorables en migrant vers le nord, ce qui posera problème aux pêcheurs et à tous ceux qui se nourrissent de poissons. Par ailleurs, l’Afrique est, et sera particulièrement touchée : les extrêmes climatiques vont continuer de frapper le continent, avec encore plus d’intensité et de fréquence. Conséquences ? Une diminution des rendements agricoles et des ressources en eau douce (déjà faibles), une multiplication des maladies et des espèces jugées ‘‘ravageuses’’ ainsi que des millions de déplacés. Pour finir, le GIEC prévoit, par ailleurs, le tarissement des fleuves dans de nombreuses zones du continent africain. En effet, déjà plusieurs zones sahélo-sahéliennes sont confrontées à des ensablements des cours d’eau et des fleuves. C’est le cas du fleuve Niger. Le volume d’eau du fleuve Niger a fortement diminué au cours de ces dernières années. Quand on observe la carte du stress hydrique, commençant par le centre de la Côte d’Ivoire jusqu’au nord, et les pays susmentionnés par ma publication, l’eau va devenir de plus en plus rare.
Qu’est-ce qui pourrait expliquer cela?
L’eau est utilisée pour faire plusieurs choses. De l’usage quotidien à l’agriculture en passant pour la pêche et l’élevage, l’eau représente de nombreux enjeux pour les Africains. Tout est une question d’usage et de création de conditions favorables à la gestion de la ressource. Elle est utilisée pour de multiples usages, sans toutefois se soucier de sa préservation.
Pensez-vous que le changement climatique puisse expliquer le fait que le continent africain dispose en réalité d’un potentiel hydraulique assez important, et soit le continent de la sécheresse et des pénuries sous toutes ses formes ?
Non, pas tout à fait. Il est clair que de nombreux rapports, y compris nos publications, tirent régulièrement la sonnette d’alarme. Mais la situation de certains pays pourrait être pour le moment une crise politique de l’eau, et non des facteurs de changement climatique. Par exemple, nous avions attiré l’attention des décideurs sur la situation de la Loka à Bouaké, quelques années auparavant. Et si les volontés politiques avaient accompagnées ce processus, la crise de l’eau à Bouaké serait évitée. Bien sûr qu’il existe des pénuries d’eau déjà causées par le changement climatique. Mais la plupart des problèmes demeurent encore à cause d’un manque ou d’une insuffisance de volonté politique. Aussi, l’eau regorge des enjeux politiques, économiques et culturels. C’est pourquoi des Etats ne tardent pas à faire chanter leurs voisins avec l’eau. En 1503 déjà, Léonard de Vinci conspirait avec Machiavel pour détourner le cours de l’Arno en l’éloignant de Pise, une cité avec laquelle Florence, sa ville natale, était en guerre. Des chercheurs américains ont également montré que depuis le Moyen Âge, les désordres sociaux en Afrique orientale coïncidaient avec les périodes de sécheresse. Dans les sociétés asiatiques, l’eau était un instrument de puissance politique : l’ordre social, les répressions et les crises politiques dépendaient des caprices des pluies.
L’eau a-t-elle toujours cette valeur de nos jours ?
Aujourd’hui encore, les contentieux à propos de l’eau sont nombreux à travers le monde, notamment au Nord et au Sud de l’Afrique, au Proche-Orient, en Amérique centrale, au Canada et dans l’Ouest des États-Unis. Au Proche-Orient, par exemple, une dizaine de foyers de tensions existent. Ainsi l’Égypte, entièrement tributaire du Nil pour ses ressources en eau, doit néanmoins partager celles-ci avec dix autres États du bassin du Nil, notamment avec l’Éthiopie où le Nil bleu prend sa source, et avec le Soudan où le fleuve serpente avant de déboucher sur le territoire égyptien. Quant à l’Irak et à la Syrie, ils sont tous deux à la merci de la Turquie, où les deux fleuves qui les alimentent, le Tigre et l’Euphrate, prennent leur source. L’eau de l’Euphrate a d’ailleurs souvent servi d’arme brandie par la Turquie contre ses deux voisins : grâce aux nombreux barrages qu’elle a érigés sur le cours supérieur du fleuve et qui lui permettent d’en réguler à sa guise le débit en aval, la Turquie possède là, en effet, un puissant moyen de pression. Tout cela pourrait manquer par simple volonté humaine.
Quels sont les défis les plus importants à relever concernant l’eau potable en Afrique ?
Au nombre des défis, on a l’insuffisance des infrastructures hydrauliques, les problèmes de gestion des infrastructures existantes, la surexploitation des nappes dans certaines zones et l’instrumentalisation de l’eau à des fins politiques. Par ailleurs, de nombreux États n’investissent pas suffisamment dans l’accès à l’eau potable.
L’eau peut-elle disparaître de la surface de la terre ?
D’abord il faut noter que la plus grande partie de la terre est couverte par les océans soit > 97%. Mais cette eau n’est utile que pour la pêche, la navigation et autres. Cette eau ne peut pas disparaître. C’est la toute petite partie restante qui s’évapore, donne les pluies, formant ainsi le cycle de l’eau. Les ressources en eau utiles à l’homme sont les fleuves, les rivières, les lacs, les nappes d’eau souterraines. Celles-ci sont alimentées par la pluie, et sont vidées par l’évaporation ou par la consommation humaine. L’usage abusif de ces ressources et l’irrégularité des pluies peuvent tarir, et l’eau peut disparaître. Mais également, il faut noter qu’avec le changement climatique, les pluies risquent d’augmenter ou de diminuer selon les régions. En plus, le changement climatique rend les continents plus chauds et plus secs. Cela fait augmenter l’évaporation de l’eau, et donc tend à assécher les réservoirs d’eau douce (theconversation.com). Les ressources en eau utiles pour les humains risquent donc de se raréfier avec le changement climatique, surtout dans les régions où les pluies diminuent. Le risque de sécheresse sera aggravé dans certaines zones. En somme, je pourrai dire que l’eau ne peut pas disparaître de la surface de la terre. Mais avec le changement climatique, certaines zones risquent de manquer d’eau douce, à cause de l’assèchement des eaux de surface et de la nappe, pendant que d’autres vivront des catastrophes dues aux pluies diluviennes.
La privatisation peut-elle être une solution à la saine utilisation de l’eau potable ?
Le 28 juillet 2010, l’Assemblée générale de l’ONU a reconnu l’accès à une eau de qualité et à des installations sanitaires comme un droit fondamental. Après plus de quinze ans de débats sur la question, 122 pays ont voté en faveur d’une résolution de compromis rédigée par la Bolivie, et consacrant ce droit. Tandis que 41 autres se sont abstenus. Le texte déclare que « le droit à une eau potable propre et de qualité, et à des installations sanitaires, est un droit de l’Homme, indispensable à la pleine jouissance du droit à la vie». Privatiser sous-entend que l’Etat se désengage plus ou moins de la question pour l’inscrire entièrement dans une logique économique. Et cela pourrait avoir un impact sur l’accessibilité de toutes les couches sociales à une eau de qualité. L’eau regorge plusieurs enjeux, et est beaucoup trop sérieuse pour être privatisée. Ce serait une manière de la rendre inaccessible aux couches vulnérables.
Quelles solutions proposez-vous pour une utilisation durable de l’eau ?
Les perspectives en matière d’eau douce ne sont pas réjouissantes, puisque de l’avis général, sa raréfaction semble inéluctable dans plusieurs zones. Or un pays qui manque d’eau est un pays qui ne peut ni nourrir sa population, ni se développer. D’ailleurs, la consommation en eau par habitant est désormais considérée comme un indicateur du développement économique d’un pays. Les gouvernements investissent très peu dans la question de l’eau. Les populations n’adoptent pas des comportements citoyens dans les villes (les eaux usées, les fuites d’eau, l’utilisation abusive…). A mon avis, l’Etat devrait s’impliquer davantage dans l’éducation à la gestion des ressources et dans la responsabilisation des acteurs impliqués. Les États doivent s’impliquer davantage dans l’accessibilité aux infrastructures, la conservation des sources d’eau régulièrement agressées par le phénomène de l’orpaillage. Ils doivent rédiger des textes et veiller à leur application sur la gestion des eaux usées, la gestion communautaire de l’eau aussi. Enfin, les États devraient inscrire un module sur la gestion des ressources naturelles dans les écoles primaires, afin de préparer les enfants, pour la durabilité de tous ces éléments qui tendent à disparaître.
Réalisée par Aymar Dedi