Dr Doumbia Mamadou (Enseignant-chercheur) : « La COP 15 à Abidjan est une opportunité pour faire connaître les réalités africaines »
Du 9 au 20 mai prochain, Abidjan accueille la 15ème Conférence des Nations Unies sur la désertification et la sécheresse (COP 15). En attendant la tenue de cet évènement planétaire, le Dr Doumbia Mamadou, maitre de conférence en Sciences agronomiques et ingénierie biologique à l’Université Nangui Abrogoua expose ses attentes. Cet enseignant-chercheur qui a mis sur le marché de l’engrais Bio, milite pour plus de réflexes visant à accroitre la protection de l’environnement et l’autosuffisance alimentaire.
Comment en êtes-vous arrivé à mettre sur pied, l’engrais biologique Vital Plus ?
Nous sommes en fait, partis de la prospectif. Parce que, la recherche sur cet engrais a commencé depuis 2004. On s’est dit, avec le développement des méfaits des produits chimiques, il fallait aussi que nous anticipons. Et, en tant que chercheur et agronome, nous avons commencé nos recherches sur cet engrais, comme je l’ai dit, plus haut, depuis 2004 pour aboutir en 2010.
A quels types de cultures cet engrais est-il adapté ?
Il convient à toutes les cultures : café, cacao, hévéa, palmier à huile, les cultures maraîchères, les cultures vivrières.
Aujourd’hui, il est de plus en plus question de protection de l’environnement dans nos faits et gestes. Aussi, la tendance est à la promotion de la consommation de produits bio. Si on s’en tient à cet ensemble de données, vous écoulez aisément l’engrais que vous avez conçu. N’est-ce pas ?
Tout à fait. Parce que, l’engrais biologique, au regard des méfaits des autres types d’engrais sur l’environnement, devrait, effectivement, connaître, un essor. Mais, il faut reconnaître que l’habitude de nos planteurs, qui sont, la plupart du temps, des analphabètes, ont des difficultés à souvent, adopter de nouvelles technologies. Et nous ne sommes pas aider en cela par les institutions qui continuent toujours à faire la promotion de ces produits chimiques qui pour la plupart, proviennent de l’extérieur. Pourtant, c’est connu, on nous a beaucoup critiqué à travers cette boutade : « Les chercheurs qui cherchent, on en trouve ; mais, ceux qui trouvent, on en cherche ». Mais, lorsqu’on trouve, malheureusement, on n’a pas d’appuis institutionnels, d’accompagnements, d’encouragements. Voici la difficulté qu’on décrie. Sinon, l’engrais biologique est de plus en plus utilisé, par la population.
Il est rapporté qu’en Côte d’Ivoire, pays qui tire essentiellement, sa puissance économique de l’agriculture, 60% des êtres arabes est dégradé. L’utilisation de l’engrais biologique peut-il, réellement, constituer une solution ?
Il faut dire qu’aujourd’hui que la plupart de nos terres ont perdu de leur biodiversité, en grande partie, suite aux produits chimiques qui ont été utilisés. Donc, en venant avec l’engrais biologique, nous allons restaurer la fertilité, la vie, la biodiversité du sol. Ce qui va donc, permettre effectivement, un redémarrage des rendements de nos produits agricoles. C’est très important, l’engrais bio est par essence, le restaurateur de la fertilité et de la vie du sol.
Le facteur prix peut aussi constituer un frein à l’utilisation des produits bio. A votre niveau, qu’en est-il ?
Tout à fait. Mais chez nous, rassurez-vous, le sac de 25kgs en détail, coûte, tout au plus, 11000FCFA quand, le bidon bio liquide est à 10.000 FCFA/L. Alors que, l’engrais chimique importé de 50kg pour certains, est passé de 17 à 40.000 voire 50,000FCFA ; pour d’autres, de 18 à 40.000 voire 45000 FCFA. Le prix ce même type de produit, cette fois, en liquide, oscille entre 15 et 35.000F/L.
Qu’on ne se méprenne, avec un couvert forestier qui était de 16 millions d’hectares, dans les années soixante, la Côte est aujourd’hui réduite à moins de 2,5 millions d’hectares dont, 2 millions d’hectares grâce à ses quatorze parcs. Ce n’est donc pas exagéré de tirer la sonnette d’alarme pour dire que le désert à nos portes. Selon vous, face à cette menace, quels autres réflexes, devrons nous avoir ?
La lutte contre la désertification est multifonctionnelle. Il y a beaucoup d’acteurs qui doivent être impliqués. Il y a notamment, les acteurs politiques, les agronomes, les producteurs, la population. C’est d’abord, une politique générale qui doit être dégagée à savoir, la réduction de tout ce qui est l’utilisation de bois de chauffe pour la cuisine. Donc, faire la promotion du bio gaz. Cela servira à réduire le déboisement. Deuxièmement, il faut faire l’agriculture intensive et éviter l’agriculture extensive ; c’est-à-dire, aller de terre en terre. Il faut plutôt, maintenant, avec l’engrais bio, produire sur de petites superficies et obtenir de grands rendements. Ceci est très important, laisser l’agriculture extensive pour aller vers l’agriculture iintensive. Mais, l’intensification de l’agriculture nécessite aussi, la mise en place des moyens de production performants.
Lesquels, par exemples ?
On peut citer, l’irrigation. Il ne faut plus compter sur la pluie. Il faut essayer d’apporter des méthodes d’irrigation. Il faut faire des campagnes de reboisement.
La Côte d’Ivoire, Abidjan, plus spécifiquement, accueille du 9 au 20 mai prochain, la 15ème Conférence des Nations Unies sur la désertification et la sécheresse (COP 15), autour du thème, « Terres. Vies. Patrimoine : D’un monde précaire vers un avenir prospères ». Quelles sont, selon vous, en tant qu’enseignant-chercheur, vos attentes pour ce rendez-vous pour lequel, au moins 5.000 experts sont annoncés ?
Il faut dire que, les attentes sont énormes. Parce que, l’évènement tournera autour de la désertification. Ça veut dire que nous attendons une prise de décision ferme, au niveau des décideurs, des bailleurs de fonds, surtout des politiques. Mais, ces politiques doivent être accompagnées des résultats de la recherche. C’est-à-dire que les chercheurs vont devoir mettre à la disposition des politiques, une orientation claire, qui puisse leur permettre de prendre des décisions. Parce qu’avec le réchauffement climatique, le changement climatique, nous devons anticiper. C’est très capital.
A quoi vous faites allusion, lorsque vous parlez de « prise de décision ferme » ?
Au niveau de l’agriculture par exemple, il faut un accompagnement. C’est vrai qu’on dit que c’est une profession libérale, mais les acteurs ont besoin d’être accompagnés. Parce que, lorsqu’ils ne sont pas informés et formés, leurs actions peuvent impacter l’environnement. Il faut vraiment un encadrement des acteurs de la production, en amont. Avec la crise en Ukraine aujourd’hui, on voit que l’engrais coûte cher. S’il n’y a pas d’accompagnements, les planteurs vont avoir des pratiques de non-conformité qui peuvent donc impacter le secteur de l’environnement.
En plus de la guerre en Ukraine, la série d’intempéries, la température de la planète qui a battu le record de chaleur, on constate, aujourd’hui, que l’autosuffisance alimentaire est plus que d’actualité. A partir d’Abidjan, que faut-il décider pour un lendemain meilleur pour la planète toute entière ?
Je pense que tout dépend des actions politiques. Souvent, les chercheurs, les scientifiques ont toujours tiré la sonnette d’alarme. On a toujours été prévoyant. On a dit des choses. Lais, la politique et l’économie ont souvent d’autres réalités, autres que celles de la recherche. Il y a souvent des lobbies, des intérêts qui ne se concilient pas totalement avec les intérêts scientifiques.
N’empêche que la réalité est là, aujourd’hui ?
Oui. Il va donc falloir être fort. Si les politiques sont suffisamment formés et informés, ils prendront les décisions idoines. N’oublions que, si l’on n’y prend garde, les effets du changement climatique peuvent notamment entrainer la famine. Les politiques ont intérêt aujourd’hui à prendre le taureau par les cornes pour anticiper sur la dégradation de notre environnement. La COP 15 est une opportunité pour faire connaître la connaître les réalités africaines. Parce que, dans les débats internationaux, on parle souvent d’autres réalités. L’accent doit donc être mis sur la problématique africaine et comment la recherche africaine peut impacter par rapport à sa contribution à la lutte contre les effets du changement climatique ; avec les solutions à envisager au profit du monde.
Propos recueillis par Mathias Kouamé