Nouveaux poids et prix du pain / Coulibaly Amadou (président HPBPCI) : « D’accord mais nous avons besoin de plus d’accompagnements »
Depuis le dernier Conseil des ministres du mercredi 30 mars, deux poids fixes de la baguette de pain de 174 g pour 150 FCFA et 232g pour 200 FCFA ont été validés. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, le président du Haut patronat de la boulangerie et pâtisserie (HPBPCI), Coulibaly Amadou révèle que c’est un accord qui fait suite à « d’âpres discussions ». Il plaide surtout pour plus d’accompagnements pour un secteur dans l’agonie.
Vous avez récemment fait une déclaration commune avec des présidents d’autres organisations du secteur. Juste quelques jours après, le gouvernement, au cours du Conseil des ministres du mercredi 30 mars, est, on peut le souligner, aller dans votre sens. Vos deviez être un opérateur économique heureux ?
On salue la mesure mais, bien entendu, c’est une mesure parmi un ensemble que nous attendons notamment, la fiscalité. Parce que, aujourd’hui, c’est un effort qui est fait de part et d’autre. Nous voulons saluer cela ; mais, nous espérons encore d’autres actions qui restent encore à mettre en œuvre. Sinon, pour aboutir à là, c’était des négociations. Nous avions nos propositions. Après d’âpres discussions, plusieurs « aller et retour », le gouvernement a proposé des grammages qui ont été communiqués.
C’est quand même bon à prendre pour vous ?
Oui mais, on attend de l’accompagnement. Il faut le dire. Parce qu’aujourd’hui, même si on nous donnait un prix meilleur, ça serait pour l’avenir. Depuis longtemps que nous sommes en train de perdre, je vous assure qu’il y a des boulangers qui enregistrent d’énormes pertes. Excusez-moi mais, ce n’est pas cette marge qui va nous permettre d’absorber les dettes. Beaucoup parmi nous vont travailler 2 ans-3 ans sans toutefois pouvoir apurer leurs dettes. C’est pourquoi, nous demandons des mesures d’accompagnement. Ça, je vous le dis, il y a des boulangeries qui ont accumulé 2 millions, minimum de pertes sur des mois. Il y en a qui ont fait plus. Quelqu’un qui a fait une perte de 2 millions sur 10 mois, ça fait 20 millions. Les nouveaux tarifs de baguettes vont permettre de ne pas perdre mais, est-ce que, ça peut permettre de combler les déficits accumulés au fil des ans.
Vous parliez de fiscalité ; concrètement, à quoi vous faites allusion ?
C’est de tenir compte du fait que, nous ne fixons pas nos prix et que nos prix tiennent aussi compte de l’accessibilité de la population. Si ça ne tenait qu’à nous, on aurait voulu aller à un nouveau de prix. Mais le gouvernement a maintenu à un certain niveau. Ça fait que nous avons un manque à gagner. C’est aussi pour cela que l’Etat doit nous accompagner sur le plan fiscal.
En dehors de la question de fiscalité, quelles sont les autres difficultés majeures que votre secteur rencontre ?
Il y a beaucoup de contrôles qui donnent lieu à des paiements. Il y a beaucoup de services qui interviennent dans le secteur de la boulangerie. Et quand ils arrivent, ce sont, des paiements, des abonnements, ainsi de suite ; et surtout venant de l’Etat. Nous cherchons à organiser tout cela pour qu’on paie le moins possible. Parce que, nous payons déjà nos impôts, les taxes de mairie, etc. Voilà, il faut qu’on y mette de l’ordre.
L’actualité internationale est dominée par la crise à l’Est de l’Europe où la Russie et l’Ukraine, principaux producteurs mondiaux du blé, intrant essentiel pour la fabrication du pain, s’affrontent. Toute chose qui contribue à la flambée des prix notamment, de ce produit, en raison de la situation de manque ou de perturbation que ça crée. Ce qui remet en selle, l’idée de l’utilisation d’intrants locaux comme le manioc. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement, c’est juste un vieux sujet. Toutes les fois qu’il y a des problèmes qui se sont posé, on a évoqué cette alternative. La dernière fois, je crois que cela remonte à la faveur de la dévaluation de notre monnaie, le franc CFA. Aujourd’hui, c’est la crise (Ndlr : russo-ukrainienne) qui fait monter le prix du blé à l’international. Je pense que, d’emblée, toute solution est à encourager ; seulement, en ce qui nous concerne, en tant que professionnel, nous voyons déjà, deux contraintes. La première, c’est, est-ce que, il y aura la disponibilité, la quantité pour rendre les prix compétitifs ? Parce que, jusqu’à présent, les prix de ces intrants locaux ne sont pas encore compétitifs. Il y a aussi des questions de disponibilité qui reviennent pour ce qui est donné de voir sur le blé. C’est-à-dire, quand l’offre n’est pas suffisante, quand elle ne dépasse pas la demande, les prix grimpent. Donc, localement, on peut le voir avec le maïs où ces dernières années, le prix a énormément évolué, du fait des éleveurs, des brasseries et autres. Est-ce que l’utilisation en quantité industrielle ne va pas créer une tension sur déjà les aliments locaux tels que l’attiéké et autres, de sorte à faire lever aussi le prix, de l’autre côté ?
Si cette contrainte est levée, qu’adviendra-t-il ?
Une fois que cette contrainte est levée et que les quantités sont disponibles, il n’y a pas de raison à ce qu’on ne puisse pas l’envisager. La deuxième contrainte, nous, en tant qu’opérateur, nous produisons pour vendre. En utilisant les intrants locaux, est-ce qu’il y aura la demande pour vendre ? Pour ce qui est de mon expérience personnelle, par moments, je suis interpellé par certaines personnes, lorsqu’elles ne sont pas satisfaites de la qualité d’un pain. Ces personnes concluent tout de suite que ce pain fait à base de farine de manioc. En somme, il y a des appréhensions, des à priori que des gens ont, par rapport à l’utilisation des intrants locaux. Ils classifient ces intrants de moindre qualité. Est-ce qu’un bon accueil lui sera réservé ? Sinon, nous, en tant qu’opérateurs, si ça peut permettre de rentabiliser, nous allons nous y inscrire. Mais que le cadre soit là pour que les prix soient compétitifs. Sinon, pour l’heure, avec quelques expériences, ça revient plus cher. Par ailleurs, selon des tests, les expériences qui ont été faits ici, on est arrivé à un taux d’incorporation de matières locales à15%. Il faut savoir que ce ne sont pas toutes les farines qui peuvent faire du pain. C’était juste, de prendre la farine de blé à une proportion, incorporer une proportion d’intrant local afin d’amoindrir le coût. Malheureusement, cette proportion n’est que de 15% pour la farine locale et le reste, pour la farine de blé pour que le pain garde un peu sa caractéristique.
Quand vous parlez d’appréhensions, vous, en tant qu’opérateur, il ne vous revient-il pas aussi d’engager la bataille de la communication afin que la population adopte, accepte, l’usage d’intrants locaux pour faire le pain ?
Vous savez, là, il y a une question crédibilité. Moi, en tant que vendeur, si je dis que c’est bon, le client va réagir pour dire que je ne peux que dire cela. Il y a, à mon avis, deux éléments qui peuvent permettre à ce que ça passe.
Lesquels ?
Il faut que l’Etat s’y mette, avec les moyens qu’il faut pour pouvoir sensibiliser notamment, en s’appuyant sur les qualités nutritionnelles ou sur d’autres caractéristiques. Vraiment il faut une communication. Nous, on n’a pas les moyens de payer cette communication, aujourd’hui ; faire venir des professionnels qui pourraient avoir plus de crédibilité et qui démontraient par A plus B, les avantages. Un vendeur ne va jamais dire qu’un produit est mauvais. Les gens ont déjà des appréhensions vis-à-vis des boulangers ; et si ce sont ces derniers qui doivent venir encore les convaincre, je crois que ça ne passera pas. Aussi, la fortification des farines, c’est à l’actif de l’Etat. C’est le gouvernement qui a mené ces projets.
Entretien réalisé par Mathias Kouamé