Reportage/Lutte contre le terrorisme : L’Etat ivoirien bétonne son dispositif sécuritaire aux frontières Nord
La lutte contre le terroriste est une réalité dans le Nord ivoirien. L’Etat et, notamment, les forces de l’ordre s’y sont déployés.
Derrière les aires calmes du fleuve Comoé (frontière naturelle) entre le village de Tchamé en Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, se cache la plus grande nébuleuse de ces deux dernières décennies. En effet, petit village ivoirien situé à 7 km de la frontière burkinabè, Tchamé est la porte ouverte pour rallier à pied ou en pirogue le pays des hommes intègres. Autrefois considéré comme un ‘‘ no man’s land ’’ du fait du grand banditisme qui y sévissait, toute chose qui s’est aussi muée au terrorisme, Tchamé, localité voisine de Kafolo, n’est pas non plus logé à la bonne enseigne.
Les habitants de ce village ainsi que les forces de l’ordre en faction dans la localité (fraichement déployées) ont été témoins d’une prise d’otage spectaculaire de cinq militaires ivoiriens. Une scène traumatisante comme bien d’autres que personne ne réussit à effacer de sa mémoire, vu son caractère brutal, choquant et rebutant. Le fait est que les bandits, ou de préférence les terroristes, ont plus d’un tour dans leurs sacs. Tantôt, se faisant passer pour des bouviers en train de faire paître leurs bêtes, ils escamotent des armes à feux dans leurs boubous. Et n’hésitent pas à ouvrir le feu, si besoin en est, avant de prendre la poudre d’escampette. Tantôt, ils se remorquent sur des motos et frappent de manière impromptue avec la plus grande surprise. Plusieurs fois refoulés à Kafolo (nord du pays) et environs, après plusieurs attaques infructueuses, les djihadistes ont changé de fusils d’épaule. Ils procèdent désormais par enlèvement et engins piégés. Au-delà donc de Kafolo, devenu le symbole de la lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire, il y a aussi Tchamé et tout le département de Kong qui souffrent le martyr.
Situé à environ 600 km d’Abidjan et à 100 km de Ferkessédougou, chef-lieu de région, le département de Kong s’étend du Nord au Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire. Il est limité au Nord par le département de Tehini et la République du Burkina Faso, au Sud par le département de Dabakala, à l’Est par le fleuve Comoé et le département de Bouna, et à l’Ouest par lesdépartements de Ferkessédougouet de Niakaramadougou. Depuis l’attentat de Grand-Bassam en 2016, qui avait fait 19 morts, l’attaque de la nuit du 10 au 11 juin 2020 à Kafoloest la seconde action djihadiste meurtrière sur le sol ivoirien. Puis, de façon intermittente, l’on assiste à des frappes endémiques et parfois ciblées. Procédant à l’inauguration de l’Académie Internationale de Lutte Contre le Terrorisme (AILCT) le 10 juin 2021 à Ababri (Jacqueville), le Premier ministre ivoirien Patrick Achiavait réaffirmé la détermination du Gouvernement à réunir tous les moyens pour vaincre le terrorisme.
Face à la porosité des frontières et la paupérisation galopante dans le Nord, le Gouvernement ivoirien a entrepris des travaux d’urgence pour la zone Nord-Est. Entre autres, des travaux routiers y sont entrepris pour accroitre et faciliter la mobilité des forces de l’ordre dans ces zones. Ce qui a donné lieu à l’ouverture de pistes (348,20 km pour 40,68% des travaux réalisés), la réhabilitation des routes (410,80 km pour 47,99% de taux de réalisation), le reprofilage lourd (97 km réalisés à 11,33%), la pose de buses de 3025 ml et la construction de 10 dalots. L’extension du réseau électrique et même la construction d’un pont sur le fleuve Comoé. Le taux d’avancement général des travaux est de 35,80%. Ce projet impacte les villes de Ferkessédougou, Kong, Téhini, Doropo, Bouna et Nassian. En dehors des infrastructures routières, il y a également 4 forages en cours de construction pour faciliter la vie aux populations, suite aux contraintes de sécheresse dans l’exécution des travaux.
Le banditisme y avait pignon sur rue…mais plus maintenant
Sujette à des attaques de tout genre, la partie Nord-Est de la Côte d’Ivoire connait des visites fréquentes de cellules terroristes. Que l’on assimilerait à la cellule en lien avec le chef de la Katiba Macina, Amadou Koufa. Pour ce qu’il nous a été donné de voir, c’est que le peu de temps passé à la frontière est précieux. Malgré la forte présence des hommes en armes, tout passant qui s’y aventure est pressé de débarrasser le plancher au plus vite. De peur, certainement, de prendre une rafale ennemie ou de se faire enlever. Deux scènes, pour le moins baroques, nous ont convaincus de ce qu’il ne fait pas bon d’être à Tchamé, surtout à la frontière. Deux jeunes qui filmaient notre présence ont vu leurs téléphones purement et simplement réquisitionnés par les agents des forces de l’ordre. Dit-on qu’ils prendront le soin d’effacer littéralement les vidéos avant de remettre les téléphones à leurs propriétaires. Ces jeunes pourraient être des indics des terroristes, qui s’amuseraient à donner les positions de l’armée. Pour les élus locaux dont Diomandé Aboulaye Karim, député de Kong, les actions du Gouvernement sont la preuve que l’Etat ne les a pas oubliés. C’est pourquoi, il a traduit toute sa reconnaissance aux autorités ivoiriennes pour le travail colossal abattu dans leurs régions.
« C’est une immense joie pour nous. Ici c’est une sorte de ‘‘no man’s land’’ où il n’y avait pas de routes, d’eau pour les populations qui y vivent. Le banditisme avait pignon sur rue. En tant qu’élus, nous pourrons très bientôt rendre visite aux populations », s’est-il réjoui.
Pour lui, bien avant la venue du terrorisme, Tchamé était d’abord et avant toutun endroit inaccessible où il se développait toute forme de banditisme. Surtout qu’ils sont à cheval entre deux frontières.
« Les forces de l’ordre n’avaient pas le courage d’arriver ici car il n’y avait pas de routes. Les risques pour eux étaient très élevés. Maintenant les patrouilles peuvent se faire à tout moment, et je pense qu’on pourra repousser ces bandits de grands chemins », a-t-il constaté.
Comme lui, Ouattara Bamoussa, 1er adjoint au maire de Kong, a également exprimé toute sa joie et celle des populations qui se sentaient laisser pour compte. « Aujourd’hui, le chef de l’Etat et le président du conseil régional du Tchologo en occurrence le ministre d’Etat ministre de la Défense,Birahima Ouattara, se penchent sur les problèmes de routes et autres problèmes existentiels. C’est une grande joie pour les populations. Cette initiative vient nous appuyer, nous élus locaux. L’Etat nous enlève une épine du pied en réalisant ces importantes infrastructures », a-t-il fait remarquer.
Pour combattre l’oisiveté, le ministre de la Promotion de la Jeunesse, de l’Insertion professionnelle et du Service civique, Touré Mamadou, et ses équipes ont lancé des projets structurants à l’endroit des jeunes. Car le terreau fertile du banditisme, c’est l’oisiveté. « L’oisiveté des jeunes est très profitable aux réseaux terroristes. Nous invitons, par ailleurs, les jeunes à recourir aux projets élaborés par le Gouvernement en leur faveur, afin qu’ils s’éloignent des fléaux comme le banditisme et le terrorisme », a espéré l’édile, avant de se réjouir une fois de plus de l’appui considérable apporté par l’Etat aux populations du département de Kong, mais aussi de tout le grand Nord.
Bassinan Traoré, chef de Sahandala, visiblement heureux de la transfiguration de sa localité, a salué les actions du chef de l’Etat. A l’en croire, leurs problèmes ne datent pas de cette ère, mais de la colonisation. Où « les blancs » (ndlr : c’est son expression), avaient promis ouvrir Tchamé sur le Burkina voisin par un pont. Ce qui ne s’est jamais fait. Aujourd’hui, le Gouvernement va donner vie à ce projet. Une bouée de sauvetage pour les 89.000 habitants du département de Kong qui, selon le dernier recensement, est estimée à 115.000 habitants pour tout le département qui fait 9000 m². Pour lutter contre le terrorisme, des villages non accessibles par la route se sont vu raccorder au réseau routier.
Que ce soient dans les régions du Bounkani, du Tchologo et du Poro, il y a un certain nombre de voies en terre qui rendaient les villages inaccessibles. Et Tchamé en faisait partie. Mais aujourd’hui, Tchamé est accessible. Environ 900 km de pistes sont en train d’être ouverts pour l’ensemble de ces régions où nous avons pu constater l’effectivité des travaux. En plus d’être la région natale du président de la République, le ministre d’Etat ministre de la Défense Téné Birahima Ouattara est aussi natif de cette même région, et il y met les bouchées doubles pour faire reculer le grand banditisme dans sa zone, avec en toile de fond une traque sans merci contre le terrorisme. Au-delà des populations qui sont les bénéficiaires directs de ces projets, les forces de sécurité ont également exprimé leur satisfaction de pouvoir circuler aisément. Ce qui rend leur travail plus commode.
Adieu la peur
A Tchamé, la peur est un sentiment à bannir. Les gens vivent avec tous les risques possibles, mais refusent d’avoir peur. « C’est notre village. Où voulez-vous qu’on aille ? Ça va, ça va… ! », se console Bazo. Qui réagissait à notre question de savoir si la peur ne les hantait pas. « La peur nous a quittés. Tchamé a toujours été une zone dangereuse. Le terrorisme est un fait, on va dire, nouveau. Et donc, nous nous adaptons à cette nouvelle situation », s’est-il justifié.
Présenté comme le président des jeunes de Tchamé, Lanta et son bureau rêvent du meilleur pour la jeunesse de cette localité, traditionnellement et naturellement paysanne. « On ne peut pas pleurer sur notre sort. C’est pour cela qu’on s’organise comme on peut pour occuper les quelques jeunes encore présents dans le village. Que tu ais peur ou pas, ce qui doit arriver arrivera inéluctablement. C’est la condition de l’homme et de l’humanité en général », s’est-il réconforté. Face à l’espoir que suscite la présence des forces de l’ordre à Kafolo ou à Tchamé, l’on prend la vie du bon côté.
Aymar Dedi, de retour de Tchamé (Kong)