Côte d’Ivoire et sous-région/Sur Rfi et France 24: Ouattara clarifie les choses
Le Président ivoirien était l’invité des médias Rfi et France 24, ce mercredi 16 février 2022. Sur les questions de la sécurité en Côte d’Ivoire, dans la sous-région ouest-africaine, de ses rapports avec la France et de la politique ivoirienne, notamment les élections en 2025, sa succession, Alassane Ouattara a clarifié les choses.
Monsieur le Président, après 9 ans, la France a décidé de se retirer militairement du Mali, au moment même où la menace djihadiste s’étend. Alors une question simple : est-ce un constat d’échec ?
Non ! Je ne pense pas, la France a pris une décision par rapport à la situation au Mali. Mais elle ne se retire pas du Sahel, elle adapte son dispositif compte tenu de ses relations avec le Mali.
La réadaptation de son dispositif. Alors est-ce que cela pourrait aussi concerner la Côte d’Ivoire ? Est-ce que vous pourriez accueillir plus de troupes, plus de matériels français ? On sait que le chef d’Etat-major des armées était à Abidjan la semaine dernière, j’imagine que c’est pour en parler ?
Tout à fait ! Nous, nous avons toujours estimé que la sécurité est un préalable au développement. Je ne sais pas pourquoi les gens se font des complexes. L’Arabie Saoudite a une base américaine, d’autres pays aussi, et si notre sécurité exige que nous fassions appel à des partenaires, à des pays amis, nous le ferions. Tout cela est en discussion, et on verra par la suite.
Il y aura donc plus de soldats, voire de bases françaises en Côte d’Ivoire ?
Si nécessaire, nos ministres vont en discuter avec notre armée, et nous verrons. Mais nous sommes organisés. Vous savez, la sécurité dépend des troupes nationales. Nous avons maintenant une armée, une gendarmerie bien formée, professionnelle, bien équipée, dont on s’occupe bien, et j’ai confiance en mon armée.
En Afrique de l’Ouest, le sentiment anti-français semble se reprendre, on l’a vu il y a quelques semaines avec ce convoi de Barkhane qui a été intercepté par les manifestants au Burkina, au Niger ?
Non ! Non ! N’exagérez pas, un évènement ici ou là ne veut pas dire qu’il y a un problème. Après tout, ce convoi a quitté Port-Bouët pour aller jusqu’à Gao. La Côte d’Ivoire, la traversée c’est quasiment 1000 Km. Donc il n’y a pas eu de problèmes. . Il ne faut pas aggraver quand même. Un problème en deux points, on en fait un problème anti-français, non, ce n’est pas vrai !
Mais il y a évidemment des manifestations anti-françaises au Mali ?
Vous savez, il y a beaucoup de manipulations dans tout ça.
Donc les militaires français ont encore un avenir en Afrique ?
Ce n’est pas un avenir des militaires français en Afrique. Je dis qu’ils sont les bienvenus chez nous, tout comme les américains et autres.
La Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest, la CEDEAO, a durement sanctionné le Mali, il y a environ un mois, mais paradoxalement cela semble avoir soudé la population derrière la junte. On a vu des manifestations de masse. Est-ce que le résultat n’est pas le contraire de ce que vous exprimez ?
Non, nous n’avons pas cherché à punir le peuple malien. Le peuple malien est un peuple frère, la CEDEAO a ses règles, les décisions ont été prises à l’unanimité. Moi je l’ai dit, j’en suis malheureux parce qu’en réalité, nous ne voulons pas que le peuple malien ait des périodes de souffrance aussi graves. Il y aura des pénuries, il y aura des difficultés. Nous attendons tout simplement que le Gouvernement de la junte malienne nous propose un calendrier raisonnable, et que graduellement, nous puissions lever les sanctions comme l’exigent les textes de la CEDEAO. Ce n’est pas une décision personnelle de qui que ce soit, ce sont les textes. Si un autre pays était dans cette situation, le Mali aurait été partenaire à la décision.
Alors ce calendrier, justement, au début, la junte a proposé 5 ans de transition avant d’aller aux élections, puis elle a reculé d’un an. Elle vous a proposé 4 ans, l’Algérie s’est proposée comme médiateur. Elle a proposé 16 mois. Est-ce que 16 mois, ça vous paraît un délai raisonnable ?
Je n’ai pas à commenter une proposition de l’Algérie. L’Algérie est en Afrique du Nord, nous la CEDEAO, nous avons nos règles, et c’est à l’unanimité que les décisions seront prises, et nous examinerons le cas malien en temps opportun en fonction de notre expérience et des discussions que nous aurons avec les autorités maliennes.
Est-ce que pour vous la date butoir pourrait être à la fin de ce mois ?
Je n’ai pas de position personnelle. Aucune décision personnelle. Je ne suis pas président de la CEDEAO. C’est le Ghanéen, mon ami Nanan Akufo Addo, nous allons sans doute avoir une réunion au mois de mars pour examiner la situation. Nous voulons que ces sanctions soient levées le plutôt possible parce que le peuple malien ne mérite pas cette situation d’embargo.
Mais en tout cas, ça ne peut pas durer 4 ans ?
Non ! Mais écoutez, 4 ans c’est quand même la durée d’un mandat au Ghana ou au Nigeria. Vous conviendrez avec moi que ce n’est pas raisonnable. Je demande à mes frères maliens de faire un effort de rentrer dans les rangs, comme l’exigent les textes de la CEDEAO. Nous les avons aidés, ils le savent. J’étais en contact permanent avec le colonel Assimi Goïta. Il m’a envoyé des émissaires avant chaque sommet, nous avons fait ce que nous avons pu. Mais nous ne pouvons pas faire plus parce que les règles de la CEDEAO sont là, il faut les appliquer.
Vous vous êtes parlé directement ?
On se parle souvent, tout le temps comme avec le colonel Doumbouya, comme avec les autres, le colonel Damiba. Moi je suis en contact avec tout le monde. Nous sommes un pays de dialogue, la Côte d’Ivoire.
M. le Président, depuis une semaine, circule sur les réseaux sociaux un enregistrement d’une prétendue conversation entre l’ex-Premier ministre du Mali, Boubou Cissé, et une personne. Certains ont reconnu votre voix, on entend des critiques sur la junte malienne. Alors une question toute simple : est-ce que cette conversation est authentique, et est-ce que c’est vous ?
Peut-être qu’il faudra me la faire écouter, comme ça je pourrai vous le dire.
Elle a beaucoup circulé !
Vous savez, moi je ne suis pas un adepte des réseaux sociaux. C’était quand ça ?
Il y a environ une semaine !
Bon, envoyez-le-moi ! Je pourrai vous répondre. Moi, je parle à tout le monde, à Boubou Cissé, à Bouba Maïga, à Assimi Goïta, à tout le monde ! Parce que je trouve que c’est comme ça que nous allons arriver à les rapprocher et à sortir de cette situation. Les autorités maliennes savent que j’ai la plus grande considération pour elles.
Parce qu’à propos de cette conversation, on vous entend les critiquer, en parlant d’idiots et voilà !
Ah bon !
C’est pour ça que ça fait scandale M. le Président !
Ah bon ! Les nouvelles technologies peuvent faire beaucoup de choses !
Alors là, la justice malienne a ouvert une enquête pour atteinte à la sûreté. Est-ce que ne va pas vous nuire ?
Non ! Ecoutez, ça c’est une affaire des maliens, je ne veux pas m’en mêler.
Est-ce que l’arrivée éventuelle de combattants et de paramilitaires russes dans le pays voisin qui est le Mali risque de vous inquiéter ou pas ?
Nous, nous avons dit clairement, au niveau de la CEDEAO, que nous sommes contre l’utilisation de personnes non étatiques dans nos pays. Ça a été dit clairement dans les différents communiqués. Donc la position est celle de la CEDEAO, et nous sommes totalement en phase avec ces positions. Pardonnez-moi, je considère que la coopération doit être d’Etat à Etat. C’est de l’intérêt des maliens. La France est un partenaire fiable, la France a quand même perdu 53 de ses enfants au Mali. La France dépense à peu près 01 milliard par an au Mali. Mais écoutez, je considère que c’est quand même déplorable que nous soyons dans une telle situation. Je continuerai de dire aux autorités maliennes qu’elles doivent faire en sorte que les choses s’améliorent dans leurs relations. Comme on dit en Afrique de l’Ouest, il faut mettre de l’eau dans leur gnamankoudji, c’est-à-dire dans leur jus de gingembre. Il faut que ça s’arrange, ça ne peut pas continuer comme ça. Ce n’est pas de l’intérêt des maliens ni de l’Afrique de l’Ouest.
Regrettez-vous le départ de la force Barkhane du Mali ?
C’est aux Maliens d’apprécier. Nous considérons que la lutte contre le terrorisme est quelque chose d’essentielle. Pour le Mali, le Burkina, le Niger et pour les pays côtiers. Donc le départ de Barkhane et de Tacouba crée un vide. Nous serons obligés d’augmenter nos forces de défense et d’accroitre la protection de nos frontières, d’acheter des armes, d’avoir une plus grande professionnalisation. Les armées nationales doivent régler les problèmes sur les territoires nationaux. C’est cela notre philosophie, et nous ferons en sorte que cela soit. Nous prendrons toutes les mesures possibles, même si nous devons dépenser 3 ou 4% du PIB sur les dépenses militaires. Nous le ferons pour notre protection. Parce que sans sécurité, il n’y aura pas de développement.
Un autre de vos voisins, le Burkina Faso, a aussi connu un coup d’Etat. D’après les contacts avec le chef de la junte, est-ce que vous avez l’impression qu’ils suivent la voie de leurs frères d’arme Maliens ou s’orientent-ils vers une solution adaptée à ce que vous cherchez ?
J’ai parlé au Colonel Damiba. Je me préoccupais de l’intégrité physique et de la sécurité du président Rock Kaboré. Il m’a donné des assurances. Je lui ai dit que nous ferons des efforts de les accompagner à condition que les règles de la CEDEAO soient respectées. C’est ce que nous faisons actuellement. Je souhaite que cela se fasse.
Les premiers indices sont-ils favorables ?
Je n’ai eu que deux conversations avec lui. C’est un peu tôt. Je souhaite que nous puissions trouver une solution rapidement pour ne pas en arriver à des sanctions financières et économiques pour le Burkina.
Vous avez mentionné le président Rock. Il n’est toujours pas libre de ses mouvements ?
Nous travaillons à cela. Je ne suis pas la CEDEAO. Mais j’ai plaidé, et le président m’a donné des garanties. Son médecin le voit tous les matins, sa famille également. Je suis rassuré par ce qu’il me dit.
Malgré le putsch du 24 janvier à Ouaga, le procès des assassins du président Sankara a pu se poursuivre. Le procureur vient de requérir 30 ans à l’endroit de Blaise Comparé et de son ancien bras droit Hyacinthe Kafando. Il se trouve que le premier est réfugié en Côte d’Ivoire et que le second aussi est présumé vivre en Côte d’Ivoire. Est-ce que vous pensez que 35 ans après ce crime d’Etat, il est temps que les gens connaissent la vérité, et peut-être Messieurs Compaoré et Kafondo acceptent de comparaitre devant la justice Burkinabè ?
Mais posez-leur la question. La Côte d’Ivoire est un pays d’hospitalité. Nous considérons qu’ils sont chez eux en Côte d’Ivoire. Et par conséquent, il n’y a pas de difficultés. Cela leur appartient, eux, avec les autorités Burkinabè. J’avais déjà entrepris des démarches avec le président Kaboré pour le retour du Président Compaoré. Je pense que tout cela se fera en temps opportun.
Et pour Hyacinthe Kafondo ?
Je ne connais pas Hyacinthe Kafondo.
Mais il est en Côte d’Ivoire ?
Je ne sais pas. Nous avons 5 millions de Burkinabé en Côte d’Ivoire.
Autre pays frappé par un putsch, c’est la Guinée Conakry. Il se trouve que pour l’instant le colonel n’a donné aucun calendrier pour la transition. Alors que ça fait déjà 6 mois que tout cela a eu lieu. Est-ce que vous n’êtes pas plus indulgent que Bamako ?
Il se trouve que vous me poser des questions que sur des pays. Ce sont des pays qui me sont chers aussi. Je suis en contact également avec le Colonel Doumouya. Les choses se feront en temps opportun. Jusqu’à présent, il a tenu ses engagements à mon endroit. Et je continue de penser que ça continuera. Le calendrier dépendra des institutions mises en place. Je souhaite que ce soit le plus tôt possible.
C’est-à-dire d’ici la fin de l’année ?
Non. Je n’ai pas à imposer un délai aux Guinéens ni aux Maliens, ni aux Burkinabé. Nous leurs disons seulement que la charte de la CEDEAO a des contrainte qu’il faut respecter.
Il y a eu le Mali, la Guinée, le Burkina. On semble faire face à une épidémie de Coup d’Etat en Afrique de l’Ouest. Est-ce que vous craignez que la contagion s’étende ?
Non. Je ne le souhaite pas. Pourquoi toutes ces mesures ? Précisément c’est pour éviter cette situation de ce genre. L’Afrique de l’Ouest a fait de grand progrès en matière de démocratie et du respect des droits de l’homme. Nous avons une période difficile à cause du terrorisme, de la pauvreté, des problèmes globaux de réchauffement climatique, d’érosion etc.… C’est une période difficile à passer, mais cela ne veut pas dire que tout est bouleversé. Je suis confiant.
Et chez Vous, il n’y a pas de crainte ?
La Côte d’Ivoire est un pays qui a connu un coup d’Etat que tout le monde regrette, et je crois que nous avons une armée professionnelle républicaine, et nous sommes confiants que nous continuerons notre marche vers le développement et le bien-être des Ivoiriens.
Certains estiment, comme en Guinée Conakry, que ce sont les 3èmes mandats qui portent des putschs militaires, et certains pensent évidemment à votre 3ème mandat de 2020… ?
Non ce n’est pas mon 3ème mandat. C’est le 1er de la 3ème République. Vous le savez bien. La Constitution ivoirienne a été votée en 2016. J’étais candidat en 2020, et j’avais dit que je ne serais pas candidat, mais cela ne veut pas dire que je n’étais éligible. Des circonstances exceptionnelles m’ont amené à être candidat. Mais aujourd’hui, je suis soulagé de l’avoir fait. C’était une décision difficile pour moi pour raisons personnelles. Maintenant c’est fait, la Côte d’Ivoire est en bonne marche, et je suis soulagé et je continuerai de faire mon travail pour que la Côte d’Ivoire tienne bon afin que nous continuions de faire des progrès importants au plan économique et social.
Est-ce que de nouvelles circonstances pourraient vous conduire à être à nouveau candidat en 2025 ?
Les circonstances exceptionnelles se posent exceptionnellement. En ce qui me concerne, tout le monde sait quelle était ma décision. Je l’ai annoncée au mois de mars pour des élections qui devraient avoir lieu en octobre. Je n’ai pas de problème à me faire. J’occupais des fonctions importantes avant de rentrer en politique. Je ne suis pas à la recherche de Job à 80 ans.
Donc en 2025 vous ne serez plus candidat ?
Laissez tomber cela. En 2025, nous verrons bien. Les Ivoiriens choisiront qui ils veulent. Je souhaite qu’ils choisissent quelqu’un de plus de jeune que moi et mes prédécesseurs.
Avez-vous déjà pensé à quelqu’un qui pourrait porter les couleurs du RHDP en 2025 ?
J’en ai à peu près une demi-douzaine. Ils sont nombreux et très compétents. Et je suis persuadé que nous ferons un choix démocratique, et nous aurons quelqu’un de très compétent pour continuer de diriger le navire Côte d’Ivoire.
Vous avez parlé de la question de l’âge. Un député a annoncé déposer un projet de loi à l’Assemblée nationale pour rétablir la limite d’âge pour être candidat à la Présidence à 75 ans. Une limite qui avait sauté en 2016 avec la révision constitutionnelle. Je crois savoir que vous y êtes favorable peut-être ?
L’Assemblée nationale a son agenda. Les députés de mon parti prendront la décision qui sied en temps opportun.
Laurent Gbagbo a affirmé que c’était inacceptable.
Mais Laurent Gbagbo n’est pas la République.
Est-ce que vous avez des contacts réguliers avec lui ? Il se dit que vous ne vous parlez plus trop …
Je lui ai parlé il y a à peine 3 semaines. Tout comme le président Henri Konan Bédié. Nous avons des relations fraternelles.
Au nom de cette réconciliation et de cette fraternité ivoirienne que vous dites, est-ce qu’après Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé et Guillaume Soro pourraient rentrer à leur tour en Côte d’Ivoire ?
Qu’ils demandent à la justice. Je ne suis pas le juge.
Vous parlez pour les deux ?
Je n’ai pas d’opinion sur l’un ou l’autre. Ils ont des dossiers en cours ou devant la justice. Qu’ils règlent ces problèmes administratifs et judiciaires
Retranscrit par Abdel-Habib Dagnogo et Hilaire Guébi