Sortie de Laurent Gbagbo : Retour sur les non-dits d’un discours haineux
Ce qu’a tenté de faire Laurent Gbagbo à Mama, devant des hommes, femmes et jeunes de son parti, venus lui souhaiter la bienvenue, s’appelle remuer le couteau dans la plaie. A dessein, l’ancien président a ressassé de vieilles rengaines. A quelles fins ?
La récente sortie du président du PPA-CI transpirait tout simplement la haine. En effet, Laurent Gbagbo a longuement parlé. Il s’est exprimé sur des sujets divers. Mais chacune de ses phrases, chacun de ses mots avancés étaient choisis à dessein, et étaient remplis d’une charge émotionnelle lourde et négative. Pour preuve, plus de dix ans après la guerre que la Côte d’Ivoire a connue, par le refus de Laurent Gbagbo de reconnaitre sa défaite suite à l’élection présidentielle d’octobre 210, le revoilà à jeter de l’huile sur les braises qui commençaient à se couvrir de cendres. Engagé dans un processus de réconciliation, c’est en croire que le président du PPA-CI parle de la réconciliation du bout des lèvres.
« La guerre peut venir vous trouver sans que vous n’ayez rien à faire. Moi j’attends toujours que les rebelles de Côte d’Ivoire nous expliquent pourquoi ils ont pris les armes en 2002. J’ai été élu en octobre 2000, j’ai prêté serment, j’ai fait le 1er Conseil des ministres. Mais en janvier 2001, deux mois 15 jours après que je suis devenu Président, la rébellion attaquait le pays. J’ai fait quoi ? Qu’est-ce que j’ai posé comme acte discriminant pour que les gens m’attaquent ? Ces gens-là étaient prêts depuis longtemps avec des arrières pays qui les équipaient en armes. Mais la raison, ils n’ont jamais donné. Moi j’attends qu’un jour, dans un climat de sécurité, sans qu’on ne les menace, ils nous expliquent pourquoi ils ont pris les armes contre la Côte d’Ivoire. On a quand même le droit de demander ça. On a quand même ce droit-là. Au moins ! Vous prenez les armes contre nous, mais pourquoi ? », s’est-il interrogé.
Poursuivant, il s’est dit préoccupé par un fait qu’on pourrait dire frappé par la proscription. Dans sa volonté d’aller à la paix, mais surtout de le laisser gouverner en toute quiétude, « le Woody de Mama » avait amnistié les rebelles. Aujourd’hui, il tourne casaque et attend d’eux qu’ils rendent compte. « Demander à ceux qui posent les actes pourquoi ils les posent.
Des actes gravissimes ! Puis on les regarde. Les rebelles, ce sont les enfants. Où ont-ils eu les moyens pour avoir des armes et nous attaquer ? Où ont-ils eu ça ! Vous comprenez mes inquiétudes », fit-il de se soucier.
Monsieur le démocrate
C’est le contraire qui aurait étonné. Laurent Gbagbo a habitué les Ivoiriens et amis de la Côte d’Ivoire à la duplicité. Hier, il a applaudi des deux mains le putsch de la junte militaire conduite par le général Guéi Robert. Mieux, il en fut l’un des grands bénéficiaires. Comme par enchantement, il se désolidarise aujourd’hui des coups d’Etat. Les temps ont bien changé. A travers sa sortie, Gbagbo fait du Gbagbo. L’opposant historique de feu Félix Houphouët-Boigny est bien dans son rôle. Monsieur le démocrate, comme l’appelle l’artiste reggae Tiken Jah Facoly, ne pouvait pas donner un son de cloche différent. Même si au PPA-CI il s’est taillé un costume de président à vie, et qu’il veuille toujours être dans la course à la présidentielle de 2025, à plus de 75 ans révolu, pour lui, tout est au meilleur des mondes possibles, tant qu’il s’agit des autres et pas de lui.
« Quand la Constitution dit qu’un homme ne peut faire que deux mandats présidentiels et qu’il en fait trois, c’est un coup d’Etat civil. Mais on ne le dit pas et on ne le condamne pas assez. Un coup d’Etat est un coup d’Etat. Vous voyez aux États-Unis, si Joe Biden ou Donald Trump décidait, par exemple, de faire un troisième mandat, mais ça serait la révolution dans tout le pays. Ils ne peuvent pas parce que ce qu’on écrit on doit le respecter. Ce qu’on met dans la Constitution, on doit le respecter. Quand tu as écrit qu’il faut 02 mandats et que tu te débrouilles pour en faire 03, le militaire avec son fusil se dit : j’ai une arme, eh bien, je fais un coup d’Etat. Voilà les conséquences des actes des politiques. Après ce sont eux qui sont durs avec les militaires. Mais un coup d’Etat est un coup d’Etat. Un coup d’Etat, c’est la rupture de l’ordre normal des choses. Je voulais du haut de cette tribune dire à toute la classe politique ivoirienne de laisser tomber les coups d’Etat, d’oublier les coups d’Etat, de laisser ça, et comme on le dit chez nous à Yopougon, de quitter dedans », ironise-t-il.
Puis d’envoyer des pics aux hommes politiques d’ici et d’ailleurs. « Un homme politique ne finit jamais un travail de refondation du pays. On ne finit pas. Même Napoléon qui a fait un coup d’Etat militaire n’a pas terminé son travail. Il a fait beaucoup de choses mais il a terminé en prison. Quand on fait la politique, on n’a pas vocation à achever son programme. Un programme ne s’achève jamais. C’est pourquoi, il faut des jeunes derrière soi qui vont continuer le programme au lieu où vous avez laissé. C’est pourquoi il faut des jeunes générations pour prendre la relève », faisait-il remarquer en premier.
La deuxième remarque, dira-t-il, concerne les prisonniers militaires. S’il avait eu à s’entretenir avec le chef de l’Etat Alassane Ouattara sur la question, il n’est pas non plus sans ignorer le point de vue du président de la République sur le sujet. Pour autant, il ne s’est pas empêché de jeter cette chape de plomb dans le paysage politique ivoirien.
« Pourquoi les militaires sont-ils encore en prison aujourd’hui ? Et puis les gens disent « les militaires de Gbagbo ». Ce ne sont pas les militaires de Gbagbo, je n’ai pas une école de formation militaire. Ce sont les militaires de l’armée ivoirienne que j’ai trouvé là. Pourquoi sont-ils en prison encore aujourd’hui ? On a un conflit post-électoral sur le résultat des élections. Les rebelles attaquent en partant de Toulepleu, Duékoué, pour descendre sur Abidjan. Les militaires avancent pour les stopper, c’est une bagarre entre deux groupes armés. On vient, on arrête le chef d’Etat, je peux comprendre que le chef d’Etat est le chef des armées. Heureusement qu’on m’a jugé à La Haye parce que si on m’avait jugé avec ceux que vous connaissez ici, je ne sais pas mais peut être que j’aurais déjà été condamné à 60 ans de prison », a-t-il martelé. Avant de poursuivre de plus belle sur sa lancée. « Alors, on arrête le chef d’Etat qu’on juge en utilisant toutes les pièces, et en produisant 82 témoins. Au bout des 82 témoins à charge, les juges disent a la défense, ce n’est pas la peine que vous produisez vos témoins parce que les témoins à charge ont déjà déchargé l’accusé. Ce qu’ils ont dit était tellement, je ne veux pas être méchant, contradictoire. En plus, les juges ont dit que ça leur suffisait comme ça, et que nous devions revenir la semaine suivante pour le prononcé de la sentence. La semaine suivante, mon jeune collègue Blé Goudé et moi, on nous déclare acquittés. On nous déclare acquittés de toutes les charges qui étaient portées contre nous, notamment de déclaration de guerre, d’assassinat. Donc rien. La plupart des Généraux sont passés à la barre pour témoigner. Alors, on nous relaxe, on nous acquitte et j’arrive en Côte d’Ivoire pour trouver que ceux qui obéissent à l’ordre du président de la République, eux, ils sont en prison. Mais ce n’est pas juste. L’armée n’a pas une décision propre pour déclarer la guerre. L’armée fait la guerre quand on lui ordonne de la faire. L’armée défend le pays quand on lui ordonne de défendre le pays. Le cerveau est innocent mais les bras sont en prison. Où est-ce que vous avez vu ça. La tête est innocente mais les bras sont en prison. Cela est injuste et inacceptable. Et il faut que pour qu’il ait un minimum de justice, qu’on libère sans plus tarder les militaires qui sont en prison. Partout où je passerai je dirai cela. Parce que c’est ça la vérité », pense-t-il.
Une fibre nationaliste trop poussée
On le sait nationaliste. Mais Laurent Gbagbo est aujourd’hui d’un nationaliste exacerbé. Tirant sur la fibre xénophobe, il est revenu sur les massacres en pays wê dans les années 2010-2011. Mais à force de trop tirer, il a failli causer l’irréparable. « J’ai été invité par les Wê et les Akyé, mais j’ai décidé de commencer par les Wê parce que ce qu’ils ont subi frise le génocide. Je ne dis pas que c’est un génocide parce que les juristes ont des définitions propres à eux, mais je dis que ça frise le génocide. Je me réjouis qu’on ait arrêté Amadé Ourémi. Je me réjouis. Mais ça ne me suffit pas. Parce que venir dans une région, arracher les forêts des gens, les plantations des gens ; brûler leurs villages ; jeter les gens dans les puits, c’est inacceptable, et je ne l’accepte pas. C’est pourquoi, j’irai dans cette région pour leur apporter la compassion. Si je ne peux rien faire d’autre, au moins je peux leur donner la compassion. Ce n’est pas normal, ce n’est pas acceptable, et ça ne peut être accepté », a déclaré l’ancien président.
Citant les grandes démocraties au monde, Laurent Gbagbo rêve d’une Côte d’Ivoire qui soit à l’image de la France ou même des Etats-Unis. « Si nous voulons que notre pays aille de l’avant, il faut que ce soit clair dans toutes les têtes. Les USA ont leur Constitution depuis la fin du 18ème siècle. Ils ont traversé des crises graves, ils ont aboli l’esclavage. Ils ont traversé la première et la deuxième guerre mondiale, et ils continuent d’avancer avec la même Constitution », toute chose qui a demandé un effort sur soi. Ce que l’auteur de la pensée n’arrive pas à réaliser, lui qui n’oublie pas et qui refuse d’oublier les frasques par lesquelles il est passé en 2010. Assurément que son passage dans les geôles de la CPI l’a fortement marqué. Au point de devenir un homme amer, incapable de pardonner. Pas même à Charles Blé Goudé, son ancien bras droit et fidèle lieutenant, pour qui il a aussi eu des mots durs.
« Lui et moi, notre compagnonnage s’est achevé le 31 mars 2021, quand la CPI a déclaré que nous sommes totalement exonérés de toutes les charges qui nous sont imputées », s’est-il désolidarisé du président du Cojep, qui lui en voudrait.
Karim Koulibaly